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1669
Mlle de Scudéry, La Promenade de Versailles
Paris, Barbin, 1669.
Description critique d'un ballet
Au sein d'un récit cadre - la promenade à Versailles de galants personnages - est insérée la nouvelle de Célanire. Ce personnage participe a un ballet de cour longuement décrit, avec une insistance particulière sur l'interprétation des danseurs et sur le spectacle.
Ne vaudrait-il pas mieux le prendre [le sujet] de la danse même, et faire un ballet, qui se nommât le ballet de la danse, ou le ballet des ballets ?
Le prince trouvant de la nouveauté à ce dessein l’approuva, et l’on ne chercha plus rien qu’à le bien exécuter. Le lieu de la fête était admirablement beau, car c’était dans une superbe salle bâtie exprès pour les spectacles. La Joie suivie des Plaisirs chassant les Ennuis et les Chagrins faisait l’ouverture de la scène, et la Jeunesse environnée des Jeux et des Ris, fit le récit à la louange du prince. Le commencement du ballet semblait avoir pour but de montrer les diverses opinions des Grecs sur l’origine de la danse : on voyait d'abord une nuit belle et claire, pour marquer que l’ordre admirable et le mouvement des étoiles avait donné la première idée des figures de la danse. Dans le même temps, la scène était occupée de bergers et de bergères, portant chacun une couronne en forme d’étoile sur la tête, et pour faire voir qu’ils imitaient leur ordre et leur mouvement, ils faisaient effectivement quelques-unes des figures les mieux marquées qui paraissent dans le ciel, représentant tantôt les Pléiades, une autre fois la lyre d’Orphée, et ainsi du reste. Ensuite on représentait en dansant cette fable connue, où Rhée, qu’on disait autrefois avoir été la première qui avait inventé la danse, l’enseigna en Crète et sauva la vie à Jupiter, que son père allait dévorer. Cette entrée était très divertissante à voir, car elle se faisait avec des épées et des boucliers qu’on frappait en cadence, en faisant diverses figures comme à la danse pyrrhique. On vit paraître après le dieu Comus avec son flambeau et son chapeau de roses, que la fable feint qui préside à la danse, et qui permet aux hommes de s’habiller en femmes, et aux femmes de s’habiller en hommes. Après cela, selon une autre opinion, paraissait une troupe de satyres, que quelques-uns ont dit être inventeurs de la danse. Cette entrée était dansée par d’excellents baladins. Après quoi, suivant un autre sentiment, paraissait Bacchus, suivi des Indiens et des Lydiens, peuples très belliqueux, qu’on dit qu’il avait vaincus par cet art. Ensuite, pour montrer combien la danse avait été en considération, on voyait paraître le fameux temple de Délos, où l’on n’offrait jamais nuls sacrifices qui ne fussent accompagnés de danses et ces danses de diverses sortes occupaient le théâtre. On voyait encore Orphée et Musée son disciple, suivis d’Egyptiens et d’Ethiopiens, comme leur ayant recommandé la danse. Homère et Hésiode y paraissaient aussi comme ayant approuvé et recommandé la danse dans leurs écrits, dont l’autorité était très grande parmi les Anciens. Ensuite paraissaient Castor et Pollux, comme ayant appris la danse aux Lacédémoniens, dont ils se servaient même quand ils allaient au combat : ils représentaient par la danse des hommes, la force et le courage, et par celle des femmes, la douceur et la modestie. Il y avait aussi une entrée d’Indiens, qui adoraient le soleil en dansant, qui était fort agréable. Achille avec son fameux bouclier, où tant de danses fameuses étaient représentées, faisait une entrée admirable, que Cléandre dansa très bien ; et pour faire une entrée singulière, on voyait paraître Socrate, qui après avoir été déclaré le plus sage de tous les hommes par l’oracle d’Apollon, apprenait à danser dans un âge assez avancé. Après quoi on voyait des entrées de Driades, et d’Amadriades. Et pour la dernière entrée de la première partie du ballet paraissaient les Muses, qui dansaient à l’entour d’une fontaine, telles qu’on dit qu’Hésiode les vit, ou telles que Malherbe les représente, lorsqu’il les appelle à son secours en ces termes :
Venez donc, non pas habillées,
Comme on vous trouve quelquefois,
En jupes dessous les feuillées,
Dansant au silence des bois,
Venez en robes où l’on voie
Dessus des ouvrages de soie,
Les rayons d’or étinceler ;
Et chargez de perles vos têtes,
Comme quand vous allez aux fêtes,
Où les dieux vous font appeler.
Pour la seconde partie, l’Amour, suivi de plusieurs amours leurs arcs à la main, descendait du ciel, et faisait le récit, trouvant un grand nombre de bergers et de bergères occupés à offrir un sacrifice. Tous ces amours tiraient un si grand nombre de flèches, que nul ne manquait d’en être blessé ; après quoi ils commençaient tous à danser, pour montrer que l’Amour seul a inspiré la joie et la danse à tous les hommes. Ensuite on vit paraître tour à tour en diverses entrées des gens de toutes les nations du monde, habillés à l’usage de leurs pays, et dansant des danses à leur mode. De sorte que les Français, les Espagnols, les Italiens, les Allemands, les Anglais, ceux de Maroc, les Persans, les Turcs, les Canadiens même, tout rustiques qu’ils sont, y trouvaient leur place, et faisaient une variété d’entrées admirable. La dernière entrée fut une danse de Bohémiennes, qui dansèrent la sarabande tour à tour, puis toutes ensemble. Et enfin se mêlèrent toutes ces nations qui étaient demeurées sur le théâtre, chacune retenant dans cette grande danse sa manière particulière, qu’on lui avait vue auparavant, quoique tout cela fût sur un même air, et s’accordât admirablement bien. Cette entrée fut la plus belle qu’on eût jamais vue. Célanire emporta le prix de la beauté et de la danse. Aussi l’Amour qui était le père et le juge de la danse, lui mit une couronne de myrte sur la tête à la fin du ballet, après en avoir jeté plusieurs aux pieds d’Argelinde, et s’en retourna dans le ciel, suivi de tous les autres amours, par un vol le plus surprenant du monde. Un moment après, la scène changea, et le théâtre parut un jardin très agréable avec des fontaines, où l’on voyait cent petits jets de fleurs d’orange qui retombaient dans des coquilles, et au milieu de ce jardin artificiel, une collation magnifique. Et dès qu’elle fut faite on passa dans une salle très bien éclairée, où l’on dansa encore deux heures.
Edition en ligne sur Gallica, p. 271-280.
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