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ca. 1671
Gabriel Guéret, La Guerre des auteurs anciens et modernes
Paris, Theodore Girard, 1671.
La Remontrance de Vaugelas
Comme dans le Parnasse Réformé paru en 1668, l'ouvrage commence par le récit d'un songe merveilleux : les auteurs, anciens et modernes, arrivent au Parnasse pour vanter leurs mérites auprès d'Apollon. C'est au tour d'un « poète comique » de s'exprimer en tirant les conclusions d'une anecdote mythologique qu'il vient de raconter, avant d'être interrompu par la remontrance sévère de Vaugelas :
[Momus dit :] il importe peu qu'il y ait des gens de cette opinion, pourvu que la foule soit de notre côté.
– C'est à peu près, reprit le poète comique, le parti que nous avons à prendre dans cette occasion : laissons critiquer tant que l'on voudra, et ne faisons point de réponse ; on se lassera peut-être de nous déchirer, et le pis-aller de cette affaire, c'est que nous aurons toujours la foule pour nous.
– Que les applaudissements de cette foule, interrompit Vaugelas, coûtent cher à cette Montagne, c'est ce qui la remplit incessamment d'une infinité d'auteurs modernes qui corrompent tout. Qu'un poète, par exemple, ait pour lui les marchands de la rue Saint-Denis, et qu'il trouve un libraire assez facile pour acheter ses folies, le voilà devenu auteur pour le reste de ses jours. Il n'a pas plus tôt fini une pièce qu'il en recommence une autre et, entassant volume sur volume, il compose toute sa vie, et ne fait rien néanmoins qui puisse vivre après lui. Si l'on considérait comme il faut ce que c'est que de se faire imprimer, on ne s'y résoudrait pas si facilement. Je n'y ai jamais songé sans frissonner et, après avoir recommencé tant de fois ma traduction de Quinte-Curce, après en avoir reçu des éloges de tous côtés, je tremblais encore pour elle : je regardais la boutique de Courbé comme son écueil, et les jugements de la postérité m’effrayaient. Que la République des lettres serait heureuse si l'on y gardait ces maximes. Mais on veut être auteur à quelque prix que ce soit, on en fait métier et marchandise, et j'en connais tels qui assignent leurs créanciers sur leurs libraires, et les remettent au premier ouvrage. On a encore cette malheureuse fantaisie de prétendre réussir en toutes choses, on ne veut point passer pour avoir un génie borné. [...] Scarron, que la nature fit tout burlesque, et dont l'esprit et le corps furent tournés tout exprès pour ce caractère, eut bien l'audace de vouloir composer une tragédie, et sans doute il l'aurait faite, si la mort n'eût prévenu la témérité de son entreprise. [...] Suivons toujours notre naturel, ne sortons jamais du genre qui nous est propre, et n'envions point aux autres la gloire que nous ne saurions acquérir comme eux. Laissons l'élégie à Desportes, les stances à Théophile, le sonnet à Gombault, l'épigramme à Maynard, la satire à Régnier, le burlesque à Scarron, le cothurne à Tristan, le roman à La Calprenède, le billet doux à Voiture, la prose à Balzac, le panégyrique à Ogier, l'ode à Malherbe et à Racan, les vers héroïques à Brébeuf, et que chacun cultive le caractère que le ciel lui a donné, sans entreprendre sur celui des autres. Ce n'est point la quantité d'ouvrages qui donnent l'immortalité.
Ouvrage en ligne sur Galica, p. 134-139.
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