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1679

[Anonyme], Le Roman comique, troisième partie

Paris, Barbin, 1679

Rixe dans le public et mort d'un acteur

Une rixe dans le public dégénère et la comédienne la Caverne y perd son mari. L'épée attachée au costume du comédien y devient soudain une arme véritable.

Mais me voici au lieu de mes plus sensibles malheurs. Un jour que nous allions représenter la comédie du Menteur, de l’incomparable M. Corneille, dans une ville de Flandre où nous étions alors, un laquais d’une dame, qui avait charge de garder sa chaise, la quitta pour aller ivrogner, et aussitôt une autre dame prit la place. Quand celle à qui elle appartenait vint pour s’y asseoir et la trouva prise, elle dit civilement à celle qui l’occupait que c’était là sa chaise et qu’elle la priait de la lui laisser ; l’autre répondit que, si cette chaise était sienne, qu’elle la pourrait prendre, mais qu’elle ne bougerait pas de cette place-là. Les paroles augmentèrent, et des paroles l’on en vint aux mains. Les dames se tiraient les unes les autres, ce qui aurait été peu, mais les hommes s’en mêlèrent ; les parents de chaque parti en formèrent un chacun ; l’on criait, l’on se poussait, et nous regardions le jeu par les ouvertures des tentes du théâtre. Mon mari, qui devait faire le personnage de Dorante, avait son épée au côté ; quand il en vit une vingtaine de tirées hors du fourreau, il ne marchanda point, il sauta du théâtre en bas et se jeta dans la mêlée, tâchant d’apaiser le tumulte, quand quelqu’un de l’un des partis (le prenant sans doute pour être du contraire au sien) lui porta un grand coup d’épée que mon mari ne put parer ; car s’il s’en fût aperçu, il lui eût bien baillé le change, car il était fort adroit aux armes. Ce coup lui perça le coeur ; il tomba, et tout le monde s’enfuit. Je me jetai en bas du théâtre et m’approchai de mon mari, que je trouvai sans vie.

[p. 187 nouv]

Edition de 1857 disponible sur Gallica.


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