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1679
[Anonyme], Le Roman comique, troisième partie
Paris, Barbin, 1679
Aptitude de Ragotin à jouer la comédie
La Rancune, qui se moque de Ragotin (personnage ridicule et fâcheux du roman), lui représente toutes les prétendues qualités qu'il possède pour être acteur.
Je ne vois point de jour pour vous [d’avoir Mademoiselle l’Etoile], si ce n’est en exécutant ce que je vous ai déjà dit une autre fois, de vous résoudre à faire la comédie avec nous. Vous y avez toutes les dispositions imaginables : vous avez grande mine, le ton de voix agréable, le langage fort bon et la mémoire encore meilleure ; vous ne ressentez point du tout le provincial, il semble que vous ayez passé toute votre vie à la cour : vous en avez si fort l’air que vous le sentez d’un quart de lieue. Vous n’aurez pas représenté une douzaine de fois que vous jetterez de la poussière aux yeux de nos jeunes godelureaux qui font tant les entendus et qui seront obligés à vous céder les premiers rôles, et après cela laissez-moi faire…
[Le propos se poursuit plus loin, p. 144]
[Les comédiens disent] d’ailleurs que la taille de Ragotin était si défectueuse qu’au lieu d’apporter de l’ornement au théâtre, il en serait déshonoré.
– Et puis, quel personnage pourra-t-il faire ? Il n’est pas capable de premiers rôles : M. le Destin s’y opposerait, et l’Olive pour les seconds ; il ne saurait représenter un roi, non plus qu’une confidente, car il aurait aussi mauvaise mine sous le masque qu’à visage découvert ; et partant je conclus qu’il ne soit pas reçu.
– Et moi, repartit la Rancune, je soutiens qu’on le doit recevoir, et qu’il sera fort propre pour représenter un nain, quand il en sera besoin, ou quelque monstre, comme celui d’Andromède : cela sera plus naturel que d’en faire d’artificiels. Et quant à la déclamation, je puis vous assurer que ce sera un autre Orphée qui attirera tout le monde après lui. Dernièrement, quand nous cherchions mademoiselle Angélique, l’Olive et moi, nous le rencontrâmes monté sur un mulet semblable à lui, c’est-à-dire petit.
Comme nous marchions, il se mit à déclamer des vers de Pyrame avec tant d’emphase, que des passants qui conduisaient des ânes s’approchèrent du mulet et l’écoutèrent avec tant d’attention qu’ils ôtèrent leurs chapeaux de leurs têtes pour le mieux ouïr, et le suivirent jusques au logis où nous nous arrétâmes pour boire un coup. Si donc il a été capable d’attirer l’attention de ces âniers, jugez ce que ne feront pas ceux qui sont capables de faire le discernement des belles choses.
Cette saillie fit rire tous ceux qui l’avaient entendue, et l’on fut d’avis de faire entrer Ragotin pour l’entendre lui-même. On l’appela, il vint, il entra, et, après avoir fait une douzaine de révérences, il commença sa harangue en cette sorte […]
[Plus loin, p. 187, on se moque de la petite taille de Ragotin comme acteur] : Alors Ragotin […] s’avança pour dire que, puisque M. Léandre ne voulait pas représenter en ce pays, qu’on pouvait bien lui bailler ses rôles et qu’il s’en acquitterait comme il faut. Mais Roquebrune (qui était son antipode) dit que cela lui appartenait bien mieux qu’à un petit bout de flambeau.
Edition de 1857 disponible sur Gallica.
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