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1679
[Anonyme], Le Roman comique, troisième partie
Paris, Barbin, 1679
Evolution de la troupe
La fin du festival du Mans oblige la troupe à changer de lieu de représentation.
Ce petit fou continua son chemin, et alla au logis des comédiens, où il ne fut pas plus tôt entré qu'il ouït la proposition que la Caverne et le Destin faisaient de quitter la ville du Mans et de chercher quelque autre poste, ce qui le démonta si fort qu'il pensa tomber de son haut, et dont la chute n'eût pas été périlleuse (quand cet accident lui fût arrivé) à cause de la modification de son individu ;mais ce qui l'acheva tout à fait, ce fut la résolution qui fut prise de dire adieu le lendemain à la bonne ville du Mans, c'est−à−dire à ses habitants, et notamment à ceux qui avaient été leurs fidèles auditeurs, et de prendre la route d'Alençon à l'ordinaire, sur l'assurance qu'ils avaient eue que le bruit de peste qui avait couru était faux. J'ai dit "à l'ordinaire", car cette sorte de gens (comme beaucoup d'autres) ont leur cours limité, comme celui du soleil dans le Zodiaque. En ce pays−là ils viennent de Tours à Angers, d'Angers à la Flèche, de la Flèche au Mans, du Mans à Alençon, d'Alençon à Argentan ou à Laval, selon la route qu'ils prennent de Paris ou de Bretagne ;quoi qu'il en soit, cela ne fait guère à notre roman. Cette délibération ayant été prise unanimement par les comédiens et comédiennes, ils se résolurent de representer le lendemain quelque excellente pièce, pour laisser bonne bouche à l'auditoire manceau. Le sujet n'en est pas venu à ma connaissance. Ce qui les obligea de quitter si promptement, ce fut que le marquis d'Orsé (qui avait obligé la troupe à continuer la comédie) fut pressé de s'en aller en cour,tellement que, n'ayant plus de bienfaiteur, et l'auditoire du Mans diminuant tous les jours, ils se disposèrent à en sortir. Ragotin voulut s'ingérer d'y former une opposition, apportant beaucoup de mauvaises raisons, dont il était toujours pourvu, auxquelles l'on ne fit nulle considération, ce qui fâcha fort le petit homme, lequel les pria de lui faire au moins la grâce de ne sortir point de la province du Maine, ce qui était très facile, en prenant le jeu de paume qui est au faubourg de Mont−Fort, lequel en dépend, tant au spirituel qu'au temporel, et que de là ils pourraient aller à Laval (qui est aussi du Maine), d'où ils se rendraient facilement en Bretagne, suivant la promesse qu'ils en avaient faite à monsieur de la Garouffière. Mais le Destin lui rompit les chiens en disant que ce ne serait point le moyen de faire affaires, car, ce méchant tripot étant, comme il est, fort éloigné de la ville et au deçà de la rivière, la belle compagnie ne s'y rendrait que rarement, à cause de la longueur du chemin ;que le grand jeu de paume du marché aux moutons était environné de toutes les meilleures maisons d'Alençon, et au milieu de la ville ;que c'était là où il se fallait placer, et payer plutôt quelque chose de plus que de ce malotru tripot de Mont−Fort, le bon marché duquel était une des plus fortes raisons de Ragotin ;ce qui fut déliberé d'un commun accord, et qu'il fallait donner ordre d'avoir une charrette pour le bagage et des chevaux pour les demoiselles. La charge en fut donnée à Léandre, parce qu'il avait beaucoup d'intrigues dans Le Mans, où il n'est pas difficile à un honnête homme de faire en peu de temps des connaissances.
Edition de 1857 disponible sur Gallica.
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