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1657
Charles Sorel, La Maison des jeux
2e édition, Paris, Sommaville, 1657.
Représenter des proverbes
Pour décrire un jeu où il faut représenter des proverbes pour les faire deviner, Sorel propose deux exemples, avec « Faire contre fortune bon coeur » et « La défiance est mère de sureté ».
Quand l’on voudra donc représenter quelques proverbes, la plupart des personnes s’étant retirées à un bout de la salle joueront une espèce de comédie ou de farce avec des paroles et des actions telles qu’il leur plaira et telles qu’elles conviendront au sujet. Que si l’on dit qu’il faut toujours parler en ceci, il ne faut pas croire que cela soit si malaisé que quand l’on parle tout seul, pour ce que l’on s’aide l’un l’autre et que les uns parleront beaucoup et les autres fort peu, selon l’occasion qui se présentera et selon le personnage qu’ils auront voulu prendre. Ce sont aussi des discours libres et sans étude, tels que l’on les fait aux propos familiers. […]
Par exemple, si l’on veut représenter ce proverbe Contre fortune bon coeur, il n’y a presque point d’aventures que l’on n’y fasse venir à propos, y ayant quelqu’un qui fera le personnage d’un héros de roman, auquel il arrivera tant de désastres que ce sera pitié, et néanmoins il aura toujours bon courage. Si l’on veut, cela se fera dans le style héroïque, mais pour se divertir davantage, l’on y mettra du comique, et alors il faudra que ses infortunes soient plaisantes, comme de tomber dans quelque fossé bourbeux en pensant escalader la maison de sa maîtresse, d’être bien battu en quelque autre endroit par des gens qui le prendront pour un autre, et d’être enfin mené au supplice, qu’il témoignera même qu’il aura toujours le coeur assis en bon lieu.
Pour signifier cet autre proverbe, La défiance est mère de sûreté, l’on représentera si l’on veut un avaricieux qui fera mille simagrées pour cacher son argent en lieu sûr, et qui se défiera de tous ceux à qui il parlera ou qu’il rencontrera, s’imaginant qu’ils ont découvert où est sa cachette, le devinant à leurs gestes, ou à leurs paroles, tellement qu’à toute heure il changera son argent de place, et fera la sentinelle continuellement, sur quoi il se tiendra plus assuré que s’il en s’en éloignait. L’on représentera aussi un mari et une femme, tous deux assez âgés, lesquels n’ayant qu’une fille à marier fort recherchée pour sa beauté et ses richesses, craignent beaucoup qu’elle ne leur soit enlevée par de jeunes gens qui en voudraient faire leur bonne fortune. Après en avoir discouru, ils l’appellent, lui font force remontrances et sur ce qu’ils s’imaginent que leurs servantes et leurs valets ont quelque intelligence au-dehors, ils leur défendent de sortir sans leur congé, ils chassent ceux qui sont les moins fidèles, ils délibèrent même de changer de maison à cause qu’ils sont voisins de quantité de jeunes marioles qui viennent cajoler leur fille ; ils mettent ordre que la porte et les fenêtres soient toujours bien fermées, ils en font redoubler les serrures, les verrous et les barres et enfin se tenant contents de cela, ils font voir qu’ils représentent tout ce qui peut signifier « Que la défiance est mère de sureté ». Tout cela se fait avec des discours propres à l’histoire, sans que l’on profère le proverbe que l’on veut exprimer, et cependant il y en a un de la compagnie qui n’a point participé au conseil et au dessein de ces beaux comédiens, lequel envoie toute la force de son esprit à ses yeux et à ses oreilles pour observer leurs actions et leurs paroles et tâcher de les expliquer si adroitement qu’il en puisse tirer le proverbe que l’on veut figurer. Que s’il n’y peut réussir, il est battu jusqu’à ce qu’il se puisse sauver.
La maison des jeux où se trouvent les divertissemens d'une compagnie… 2e édition, Paris, Sommaville, 1657, p. 54.
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