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Par support > Pièces de théâtre > Ragotin ou le roman comique –
1701
(Charles Chevillet dit) Champmeslé, Ragotin ou le roman comique
La Haye : Ad. Moetjens, 1701
Un dramaturge ridicule avant la représentation
Sur le mode burlesque, le poète ridicule et les doctes flatteurs, reprennent des motifs habituels de la création dramatique et de la réception des oeuvres théâtrales.
LA BAGUENAUDIERE.
Contre tous ses défauts n'allez pas vous armer.
Tempérez la censure, ayez de l'indulgence
Pour la fragilité d'un auteur qui commence,
D'un novice rampant dans le sacré vallon,
Qui, quoique vieux, est jeune au métier d'Apollon.
DES LENTILLES.
Autant qu'Argus eut d'yeux je voudrais des oreilles,
Pour de ce grand ouvrage entendre les merveilles.
DE BOISCOUPÉ.
Je voudrais le louer avec autant de voix
Que le grand Briarée eut de bras autrefois.
DE PRÉRAZÉ.
De savourer vos vers mon esprit est avide.
DE MOUSSEVERTE.
Je les crois d'un savoir où le bon sens préside.
LA BAGUENAUDIÈRE.
Ah ! Messieurs, vous parlez en amis de l'auteur.
Revêtus d'un esprit facile admirateur,
Vous chantez son triomphe, enflez sa renommée,
Avant qu'on n'ait encor la chandelle allumée.
DES LENTILLES.
Au fleurer, à l'odeur, on connaît le poisson.
DE BOISCOUPÉ.
Le bon terroir produit l'excellente moisson.
DE PRÉRAZÉ.
La beauté du ruisseau se juge par sa source.
DE MOUSSEVERTE.
La bonté du cheval se connaît à la course.
LA BAGUENAUDIÈRE.
Trêve d'encens, messieurs, cessez de me louer.
Un auteur n'est que trop facile à s'engouer.
La pièce que j'expose à vos doctes génies,
Est un beau composé de ces rares saillies,
De ce bon goût nouveau, digne ouvrage du temps,
Où l'esprit prend partout le dessus du bon sens.
Fi ! Fi ! De ces auteurs enchaînés par les règles,
Qui, venant sur nos moeurs fondre comme des aigles,
Pensent, en beaux discours nous peignant la vertu,
Nous donner de l'horreur pour le vice abattu !
Il est vrai que jadis, respectant leurs ouvrages,
Le coeur était touché de leurs doctes images,
Les vives passions s'y faisaient admirer ;
On était assez sot pour y venir pleurer.
Mais les temps ont changé. La triste tragédie,
Pour plaire maintenant, en farce travestie,
Des jolis quolibets et des propos bouffons,
Préfère l'agrément à ses graves leçons.
Elle va ramasser dans les ruisseaux des halles
Les bons mots des courtauds, les pointes triviales,
Dont au bout du Pont-Neuf, au son du tambourin,
Monté sur deux tréteaux, l'illustre Tabarin
Amusait autrefois et la nymphe et le gonze
De la Cour de miracle et du Cheval de bronze.
Voilà le véritable aimant des beaux esprits,
Voilà, messieurs, aussi le chemin que j'ai pris.
Antoine et Cléopâtre à vos yeux vont paraître,
Non pas tels qu'ils étaient, mais comme ils devraient être,
Mais tels qu'il faut qu'ils soient pour captiver les coeurs,
Par la main des fripiers vêtus en bateleurs ;
Vous savez bien, Messieurs... Mais j'entends qu'on s'avance,
Messieurs, un petit air avant que l'on commence.
Les violons jouent ; et, les violons jouant, les messieurs prennent place.
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