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1637

Desmarets de Saint-Sorlin, Les Visionnaires

Paris, J. Camusat, 1637

Epouser la comédie plutôt qu'un mari

Dans la dernière scène, qui achève traditionnellement la comédie par un mariage, la voix de Sestiane se lève pour revendiquer le choix de rester libre et pouvoir profiter pleinement des plaisirs du théâtre sans souffrir les désagréments d'un mari jaloux ou d'enfants à charge.

SCÈNE V.

LYSANDRE.
Venez, belle parente, on vous veut marier.

SESTIANE.
Pour moi, n'en parlons point. Mais je viens vous prier,
Si l'une de mes soeurs aujourd'hui se marie,
Au moins après souper ayons la comédie.
Sans en avoir le soin, laissez-la-moi choisir,
J'en sais une nouvelle où vous prendrez plaisir.

LYSANDRE.
Pour moi, je prévois bien, si l'on n'y remédie
Que ces noces pourront finir en comédie.

ALCIDON.
Mais je veux dès ce soir vous marier aussi.

SESTIANE.
Il ne faut point pour moi vous mettre en ce souci.
Je ne veux de ma vie entrer en mariage,
Ne pouvant pas porter les soucis d'un ménage.
Puis je rencontrerais quelque bizarre humeur,
Qui dedans la maison ferait une rumeur,
Quand je voudrais aller à quelque comédie.
Pour moi, qui ne veux pas que l'on me contredie,
Quand il le défendrait, je dirais "je le veux"
Et s'il donnait un coup, j'en pourrais rendre deux.
Si l'on doit se trouver en quelques assemblées,
Aussitôt des maris les têtes sont troublées :
Ils pensent que c'est là que se voit le galant,
Que se donne l'oeillade, et le poulet coulant.
Les pièces que l'on joue en ces nuits bienheureuses
Ne parlant que d'amour, leur semblent dangereuses :
"Pensez-vous, disent-ils, qu'on vous veuille souffrir
À dormir tout le jour, et la nuit à courir ?"
Mais leur plus grand dépit est facile à connaître :
C'est que dedans ces lieux ils n'oseraient paraître.
Car on dit aussitôt "Voyez-vous le jaloux ?"
Il suit partout sa femme ; et comme à des hiboux
Qui des gentils oiseaux sont la haine et la crainte,
Chacun veut de son bec leur donner une atteinte.
Je ne veux point, mon père, épouser un censeur.
Puisque vous me souffrez recevoir la douceur
Des plaisirs innocents que le théâtre apporte,
Prendrais-je le hasard de vivre d'autre sorte ?
Puis on a des enfants, qui vous sont sur les bras :
Les mener au théâtre, ô dieux ! quel embarras !
Tantôt couche, ou grossesse, ou quelque maladie
Pour jamais vous font dire, adieu la comédie.
Je ne suis pas si sotte ; aussi je vous promets
Pour toutes ces raisons d'être fille à jamais.

LYSANDRE.
À voir comme elle parle, un homme bien habile
Aurait peine à la vaincre.

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