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1671

Savinien Riflé, L'Amant oisif

Paris, Loyson, 1671

Nouvelle sur une comédienne

Parmi les nouvelles de ce recueil, l'une a pour protagoniste une comédienne. Certains passages de ce récit, on s'en doute, dépeignent l'univers du théâtre.

Il était déjà nuit dans Madrid, quand Dom Manrique, jeune gentilhomme espagnol d'une des plus illustres maisons de Castille et qui sortait depuis peu du palais où il avait été nourri auprès de l'infant, parmi ceux qu'on appelle les menines et que nous nommerions en France enfants d'honneur, alla chez Don Elvar son cousin pour l'obliger de venir à la comédie avec lui. Ce cousin, qui était le plus obligeant homme d'Espagne et (à ce qu'on dit) le meilleur parent, ne se fit pas prier longtemps par le jeune Dom Manrique. Ils sortirent ensemble et quand ils furent arrivés au lieu où se représentait cette nuit-là une des plus fameuses comédies de Lope de Vega, ils se placèrent l'un auprès de l'autre.

Ils avaient été de la sorte à peine un demi quart d'heure, que Dom Manrique se leva d'auprès de son cousin, je ne sais sur quel prétexte. Le discret cousin ne s'informa point d'abord où il pouvait être allé, mais après l'avoir attendu longtemps, craignant qu'il ne lui arrivât quelque affaire où il pût avoir besoin de son service, il s'en alla le chercher. II fit beaucoup de tours avant que de le trouver, mais enfin, après s'être longtemps fatigué, il le rencontra derrière le théâtre, quasi en extase en la contemplation d'une comédienne qu'il regardait par dessus les épaules de je ne sais combien de gens qui paraissaient avoir les mêmes intentions que lui. Don Elvar retira son jeune parent par le bras et l'éveilla comme s'il eût été enseveli dans un profond sommeil et, sans lui donner le loisir de parler, le ramena à sa place, où après avoir été longtemps sans lui rien dire, il commença à lui parler à peu près de la sorte : [il lui raconte alors l'histoire de cette comédienne]

Le premier qui tomba dans ses filets, fut un marchand gênois qui la vit à la comédie et qui la trouva la plus belle femme d'Espagne. […]

Ils [une troupe de comédiens] lui donnèrent une place dans leur troupe et le chef en devint amoureux : c'était un homme d'esprit, qu'on nommait Rossetto, qui faisait des comédies qu'il voulait qu'on crût meilleures que celles de Lope de Vega. Cette troupe retourna en Espagne où elle eut l'honneur de paraître devant le roi, qui la retint pour être à lui. Le comédien fit des comédies où Ignès [la comédienne] parut admirablement. Elle causa du désordre parmi les autres comédiennes, qui ne lui jugeaient pas assez de mérite pour avoir la préférence sur elles. Mais Rossetto était le maître et on passait par tout ce qu'Ignès et lui voulaient. […]

Un jour que cette troupe représentait une comédie de Rossetto devant le roi, un de nos courtisans déçus comme toi, cher Don Manrique, par des apparences trompeuses, voulut persuader au roi de la voir en particulier, louant extrêmement sa beauté. Sa Majesté répondit qu'il était vrai qu'elle paraissait jolie, mais qu'il n'y faisait pas sûr.

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