Mon valet continua de faire de nouvelles malices à Malet, à qui tantôt il tirait les rideaux de son lit, et tantôt il lui faisait d’autres tours ; si bien que croyant toujours de plus en plus que cela vint de Ras, il n’y eut plus de moments qu’il ne l’accablât d’injures. Il ne voulut même plus manger avec lui, et fit dire à Baisemaux que s’il ne nous l’ôtait il en arriverait quelque malheur. Nous ne pûmes jamais lui guérir l’esprit, de sorte que Baisemaux fut obligé de mettre Ras dans une autre chambre. Mon valet voulut alors laisser Malet en repos, afin qu’il s’imprimât mieux dans l’esprit, que Ras était la seule cause de tout ce qui était arrivé ; mais je voulus qu’il continuât de le tourmenter, parce que je croyais que l’honneur de ce malheureux y était intéressé, et que j’étais obligé de réparer sa réputation, qui par ce moyen se trouvait flétrie de nouveau. Enfin cette comédie finit par un acte, qui était sanglant en apparence, et qui mit Malet dans un tel étonnement, qu’il en fut tout éperdu. Je ne sais si ce valet, qui savait faire tant de tours, n’avait point autrefois monté sur le théâtre, et si c’était par cet art, ou par hasard, qu’il avait sur lui de la poudre qui change l’eau en sang, à la mode de bâteleurs, c’est-à-dire, qui lui donne la couleur du sang. Quoi qu’il en soit, ayant mis cette poudre dans de l’eau, il en remplit une bouteille, et la versa dans les draps de Malet, de qui il avait coutume de faire le lit. Quand Malet se coucha, et qu’il sentit ses draps tout trempés, il prit de la chandelle pour voir ce que c’était. On ne peut assez exprimer quel fut son étonnement, lorsqu’il les vit tous pleins de sang, car il croyait que c’en fut. Il nous appela tous pour être témoins d’une chose si extraordinaire. Mais au lieu de réussir par là dans le dessein que j’avais de justifier Ras, Malet n’en eut encore que plus méchante opinion de lui, tant il est vrai que les choses ont souvent un succès contraire à celui qu’on s’est proposé.