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1668

Adrien-Thomas Perdou de Subligny, La Folle Querelle ou la Critique d'Andromaque

Paris, T. Jolly, 1668

L'éloge paradoxal d'un détracteur

Dans la préface de sa comédie critique, Subligny mène une stratégie ambivalente : tout en faisant l’éloge de Racine, il condamne ceux qui le portent aux nues. Son expérience de spectateur révèle les mêmes ambivalences puisqu’il semble avoir été tantôt séduit, tantôt surpris par les fautes de Racine.

Ce n’est pas qu’en critiquant l’Andromaque, je me sois imaginé faire une chose qui dût m’obliger à me cacher. C’est une petite guerre d’esprit qui, bien loin d’ôter la réputation à quelqu'un, peut servir un jour à la lui rendre plus solide, et il serait à souhaiter que la mode en vînt pour défendre les auteurs de la fureur des applaudissements, qui souvent, à force de leur persuader malgré eux qu’ils ont atteint la perfection dans un ouvrage, les empêchent d’y parvenir par un autre qu’ils s’efforceraient de faire avec plus de soin. Je fus charmé à la première représentation de l’Andromaque. Ses beautés firent sur mon esprit ce qu’elles firent sur ceux de tous les autres et, si je l’ose dire, j’adorai le beau génie de son auteur sans connaître son visage. Le tour de son esprit, la vigueur de ses pensées et la noblesse de ses sentiments m’enlevèrent en beaucoup d’endroits, et tant de belles choses firent que je lui pardonnai volontiers les actions peu vraisemblables ou peu régulières que j’y avais remarquées. Mais, lorsque j’appris, par la suite du temps, qu’on voulait borner sa gloire à avoir fait l’Andromaque, et qu’on disait qu’il l’avait écrite avec tant de régularité et de justesse qu’il fallait qu’il travaillât toujours de même pour être le premier homme du monde, il est vrai que je ne fus pas de ce sentiment. Je dis qu’on lui faisait tort, et qu’il serait capable d’en faire de meilleures. Je ne m’en dédis point et, quelque chagrin que puissent avoir contre moi les partisans de cette belle pièce, de ce que je leur veux persuader qu’elle les a trompés quand ils l’ont crue si achevée, je soutiens qu’il faut que leur auteur attrape encore le secret de ne les pas tromper, pour mériter la louange qu’ils lui ont donnée d’écrire plus parfaitement que les autres. Je ne prétends pas faire croire qu’ils soient moins spirituels pour avoir été éblouis. Au contraire, je le prends pour une marque de leur vivacité et d’une délicatesse d’esprit peu commune qui, sur la moindre idée qu’elle reçoit d’une belle chose, la conçoit d'abord dans sa pureté et dans toute sa force, sans songer si les termes qui l’expriment signifient bien ce que l’auteur a voulu dire. Il faut bien que cela soit, puisque, si l’on se veut donner la peine de lire l’Andromaque avec quelque soin, on trouvera que les plus beaux endroits où l’on s’est écrié, et qui ont rempli l’imagination de plus belles pensées, sont toutes expressions fausses ou sens tronqués qui signifient tout le contraire ou la moitié de ce que l’auteur a conçu lui-même, et que, parce qu’un mot ou deux suffisent à faire souvent deviner ce qu’il veut dire, et que ce qu’il veut dire est beau, l’on y applaudit sans y penser, tout autant que s’il était purement écrit et entièrement exprimé.

T. Jolly, 1668

Préface en ligne sur Gallica NP7 


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