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1700

Évariste Gherardi, La Coquette

Paris, J. B. Cusson et Pierre Witte, 1700.

Éloge du parterre

Dans La Coquette, une comédie de Jean-François Regnard créée en 1691 par les comédiens italiens, Arlequin parodie un marquis ridicule dont le plus grand plaisir au théâtre est de se faire voir du parterre qu’il méprise depuis sa place sur la scène. Colombine critique cette attitude et se lance dans un éloge du public du parterre.

LE MARQUIS
[…] je voudrais que vous vissiez à la comédie le terrain que j’occupe sur le théâtre. Ho parbleu, la scène n’est jamais vide avec moi. Il n’y a que le théâtre de l’opéra, où je me trouve un peu en brassière ; je n’y saurais vir[rouet]ter à ma fantaisie.

COLOMBINE
C’est-à-dire que vous n’y oseriez pas tant faire le fanfaron qu’ailleurs.

LE MARQUIS
Je suis pourtant toujours sur le bord du théâtre ; il y a longtemps que je n’ai secoué la pudeur de ces demi-gens de qualité qui commencent à se donner au public. Ventrebleu, je ne tâte point des coulisses ; sur l’orchestre, morbleu, sur l’orchestre.

COLOMBINE
Je ne sais pas pour moi quel plaisir prennent certaines gens à la comédie, de venir étouffer un acteur jusque sur les chandelles ; comment voulez-vous qu’un pauvre diable de comédien se fasse entendre au bout d’une salle, il faut donc qu’il crève ?

LE MARQUIS
Parbleu, qu’il crève s’il veut, il est payé pour cela.

COLOMBINE
Mais de bonne, foi, Monsieur le Marquis, croyez-vous que ce soit pour vous voir peigner votre perruque, prendre du tabac, et faire votre carrousel sur le théâtre que le parterre donne ses quinze sols ?

LE MARQUIS
N’est-ce pas bien de l’honneur pour lui de voir des gens de qualité ? Ma foi, quand il n’aurait que ce plaisir-là, cela vaut bien une mauvaise comédie.

COLOMBINE
Assurément, c’est ce qui fait qu’il s’est mis en droit de vous siffler aussi bien que les méchantes pièces.

LE MARQUIS
Il est vrai que le parterre devient terriblement orgueilleux ; ce sont ces Italiens qui ont achevé de le gâter. […]

COLOMBINE
Vous avez beau pester, le parterre fait du bien à tout le monde. Il redresse les auteurs, il tient les comédiens en haleine ; un fat ne se campe point impunément devant lui sur les bancs du théâtre : en un mot, c’est l’étrille de tous ceux qui exposent leurs sottises au public. Que ne vous mettez-vous dans les loges ? On ne vous examinera pas de si près.

LE MARQUIS
Moi, dans les loges ? Oh, je vous baise les mains, je n’entends point la comédie dans une loge, comme un sansonnet. Je veux mordi qu’on me voie de la tête aux pieds, et je ne donne mon écu que pour rouler pendant les entr’actes et voltiger autour des actrices.


Jean-François Regnard, La Coquette ou l'Académie des dames, dans Évariste Gherardi, Le théâtre italien de Gherardi, ou le Recueil général de toutes les comédies et scènes françaises jouées par les comédiens italiens du roi, pendant tout le temps qu'ils ont été au service, Amsterdam, Isaac Elzevir, 1707, t. III, p. 211-213.

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