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Par support > Pièces de théâtre > La Femme d’intrigue –
1694
(Florent Carton dit) Dancourt, La Femme d’intrigue
Paris, Thomas Guillain, 1694.
Faire cesser les sifflets des spectateurs.
Dans cette comédie, Monsieur de La Protase, satire du dramaturge sans succès, se plaint des réactions des spectateurs ; il explique à la servante Grabillon comment il compte les empêcher de siffler ses prochaines pièces.
SCÈNE II. Monsieur de la Protase, Gabrillon. […]
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Laissez faire, si je puis parvenir à mettre une pièce sur le théâtre sans être sifflée, on me verra aussi bien étoffé qu'un autre.
GABRILLON.
Comment, sifflée ?
MONSIEUR DE LA PROTASE.
J'ai ce malheur-là : je fais les meilleures pièces du monde, elles charment tous ceux à qui je les lis ; mais, à peine passent-elles dans la bouche des comédiens, qu'on les siffle à faux-bourdon.
GABRILLON.
Il y a de certaines pièces comme cela, que les représentations gâtent. Si j'étais de vous, puisqu'elles réussissent si bien sur le papier, je me ferais apporter un fauteuil, et je les lirais moi-même en plein théâtre.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
J'ai un bien meilleur expédient que cela.
GABRILLON.
Qui est ?
MONSIEUR DE LA PROTASE.
D'aller directement au Roi.
GABRILLON.
Au Roi !
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Oui da, au Roi : ce n'est point son intention qu'on siffle personne, et c'est dans cette vue-là que je viens faire un accommodement avec ta maîtresse. Elle connaît toute la Cour. Voici un Placet : Qu'elle le fasse présenter par qui elle voudra, et je lui promets un quart de part dans toutes les pièces qu'on jouera dorénavant de moi, où l'on ne sifflera pas.
GABRILLON.
Voilà pour elle un profit tout clair. Un Placet ? Pourrait-on en voir la lecture ?
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Pourquoi non ? Il n'est fait que pour être vu. Nous verrons, nous verrons, Messieurs du Parterre, si vous sifflerez à l'avenir les auteurs et les comédiens, comme on siffle les linottes et les perroquets. Placet au Roi (Comme je ne puis faire pour moi, que je ne fasse en même temps pour tous les autres poètes mes confrères, j'ai trouvé qu'il était à propos d'adresser mon placet au nom de toute ma communauté des auteurs, de Paris s'entend).
GABRILLON.
Oh, c'est l'entendre.
MONSIEUR DE LA PROTASE, lit.
Au Roi. Sire, Les auteurs modernes en dramatique, tant en vers qu'en prose, de votre bonne ville et faubourgs de Paris, remontrent très humblement à votre Majesté, qu'après avoir sacrifié leurs soins et leurs veilles aux plaisirs du public, leur zèle serait tous les jours mal reconnu par certains quidams indiscrets, qui, de dessein prémédité, se transportant journellement ès lieux où lesdits auteurs font représenter leurs ouvrages, avec des appeaux à perdrix, des sifflets de chaudronniers, et autres armes offensives, desquelles ils chargent sans miséricorde tout ce qui ose paraître d'acteurs sur le théâtre, avec tant de fureur, que le comédien le plus intrépide est souvent contraint de lâcher pied, et de se retirer le cœur meurtri et tout percé de coups de sifflets.
GABRILLON.
Malepeste, voilà un style bien concis.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Toutes mes pièces étaient écrites de cette locution-là.
GABRILLON.
Et on les sifflait ?
MONSIEUR DE LA PROTASE, poursuit de lire.
Écoutez, écoutez ceci. Ah, SIRE, souffrirez-vous que le théâtre, qui est le symbole de la joie, devienne celui de la douleur ! Je ne doute point, SIRE, que les ennemis de la science ne représentent à Votre Majesté que nous exigeons d'Elle une chose impossible ; qu'il est naturel au parterre de siffler, comme à nous de parler. Je n'ignore pas non plus qu'eux, SIRE, que Pline le Naturaliste dans son Traité des Animaux, au Chapitre du mouvement vocal, dit que l'homme parle, que le Cerf brame, que le lion rugit, que le taureau beugle, que l'âne braît, et que le parterre siffle ; je sais, dis-je, tout cela comme eux, SIRE ; mais Votre Majesté fait tous les jours des choses si incroyables, que nous osons espérer, etc. Qu'en dis-tu ?
GABRILLON.
Oh, pour le coup, voilà les siffleurs pris pour dupes, et les marchands de sifflets ruinés.
p. 88-91.
Extrait disponible sur Gallica.
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