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1694

Laurent Bordelon, Molière comédien aux Champs-Élysées

Lyon, Antoine Briasson, 1694

Jugements de spectateurs sur le naturel au théâtre

Le texte qui introduit cette comédie raconte comment Pluton a voulu faire donner un divertissement aux Champs-Élysées. Les poètes morts se disputent l'honneur de le réaliser et proposent chacun leur genre de prédilection. C'est l'occasion de confronter, par la bouche de Quinault et de Molière, deux points de vue de spectateurs sur le rapport de l'opéra et de la comédie au naturel.

Quinault fit ses efforts pour prouver qu'un opéra ferait plus de plaisir qu'une comédie, et s'offrit en même temps d'en composer un qui charmerait toute la compagnie, si quelqu'un voulait prendre la peine de faire la musique, les danses, les machines, et faire exécuter le tout avec autant de vigueur, d'exactitude et d'autorité que Lully le faisait autrefois. Pluton, qui se ressouvient toujours du pouvoir de la musique d'Orphée (qui en chantant charma avec tant de force les gardes et les puissances des Enfers, qu'il lui fut très facile d'enlever sa femme Eurydice), témoigna à Quinault que ce spectacle ne lui était point agréable. Molière, qui n'avait pas encore dit un mot, parla de cette sorte à Quinault : « c'est apparemment la pièce que vous avez donnée autrefois sous le titre d[e] Comédie sans comédie qui vous a mis dans le goût de donner des opéras, c'est-à-dire des tragédies sans tragédies. Je les appelle ainsi, parce que vos opéras ne méritent tout au plus que le nom de tragédie – à cause de ce qu'ils ont de tragique — n'en ayant point l'esprit naturel, car il n'est pas naturel de pleurer, de gémir, de se plaindre et de se mettre en colère en chantant. » […] Quinault […] dit tout bas (comme on me l'а rapporté) en se retirant à un de ses amis qu'il […] aurait bien voulu répartir aux reproches de Molière ; qu'il lui aurait dit que s'il faut retrancher les opéras à cause qu'il n'est pas naturel de pleurer, de se mettre en colère en chantant, il fallait donc aussi retrancher toutes les pièces dramatiques en vers, car il n'est pas naturel de parler en rimant ; que lui-même — il parlait de Molière — était tombé dans la même prétendue faute qu'il reprenait, puisqu'il avait mêlé des paroles chantées dans ses pièces. Vous jugez bien que si ces deux poètes eussent eu la liberté de parler sur cette matière, nous eussions entendu une dissertation bien curieuse.

Amsterdam, Adrian Braakman, 1697, p. 37-40.

Extrait disponible sur Google Books.


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