La base de données « Naissance de la critique dramatique » offre plus de 3000 extraits de textes du XVIIe siècle évoquant les oeuvres théâtrales sous l'angle de… [plus]
Par support > Pièces de théâtre > Renaud et Armide –
1697
(Florent Carton dit) Dancourt, Renaud et Armide
Paris, Thomas Guillain, 1697
Tentative de promotion sociale à l’opéra
À la scène 12 de cette petite comédie, Angélique découvre que son amant, Clitandre, n'est autre que le jeune homme dont sa tante, Madame Jaquinet, s'est entichée à l’opéra et avec qui elle badine pendant les représentations de l'Armide de Quinault et Lully. Clitandre s'explique.
SCÈNE XII Angélique, Clitandre, Lisette, Lolive.
[…]
ANGÉLIQUE
Je vous revois après une longue absence, Monsieur ; mais je vous revois infidèle peut-être ?
CLITANDRE
Moi, infidèle, Madame ? Ah ! Ne m’accablez point par un reproche aussi cruel qu’injuste, je vous jure…
ANGÉLIQUE
Ne jurez point, Monsieur : ce n’est pas moi que vous cherchez ici.
CLITANDRE
Ce n’est pas vous ?
LISETTE
Oh ! Pour cela non : c’est notre tante ; on a demandé Madame Jaquinet.
CLITANDRE
Lolive.
LOLIVE
Cela est vrai, Monsieur, nous sommes pris pour dupes.
CLITANDRE
Croyez, Madame, que la seule passion que j’ai pour vous…
ANGÉLIQUE
N’espérez pas m’abuser, Monsieur.
LISETTE
Oh ! Pour cela, non. On sait de vos fredaines ; c’est Madame Jaquinet à qui vous en voulez, vous avez des rendez-vous avec elle tous les jours d’opéra ; elle vous attend ici aujourd’hui, vous y venez, vous nous trouvez, vous vous évanouissez, vous nous en recontez. Mort de ma vie, vous êtes un fripon ; qu’avez-vous à dire ?
CLITANDRE
Si je connais votre tante, Madame, si je l’ai jamais vue…
SCÈNE XIII Angélique, Clitandre, Mimi, Lisette, Lolive.
MIMI
Ma sœur, ma tante vous prie de lui venir parler tout à l’heure, elle veut vous montrer… Ah ! Ah ! Vous voilà ici, Monsieur, est-ce qu’on vous a permis d’y venir ? Qui vous a dit où nous demeurions ?
CLITANDRE
L’embarrassante conjoncture !
LISETTE
Comment ! Est-ce que vous connaissez ce Monsieur-là, Mademoiselle Mimi ?
MIMI
Si je le connais ? C’est le petit Renaud de ma tante. Si vous saviez, ma sœur, toutes les caresses qu’il lui fait, et comme ils s’aiment. Oh ! Vous verrez cela, vous en mourrez de rire.
LISETTE
Cela sera bien divertissant.
ANGÉLIQUE
Vous vous trompez, Mimi, Monsieur ne connaît pas ma tante, il ne l’a jamais vue.
MIMI
Il ne l’a jamais vue qu’à la chandelle, peut-être, dans la loge de l’opéra : c’est ce qui fait qu’il l’aime.
LOLIVE
L’enfant dit vrai, Monsieur : on se moque de nous, il faut tout avouer.
CLITANDRE
Je suis au désespoir.
LISETTE
Je le savais bien, moi, qu’on cherchait Madame Jaquinet, et que c’était là son petit homme de l’opéra.
MIMI
Hé, vraiment oui, c’est lui-même, vous dis-je ; je m’en vais dire à ma tante qu’il est ici, vous allez voir comme ils se connaissent.
ANGÉLIQUE
Attends, attends, Mimi.
MIMI
Non, non, je m’en vais vous l’amener, laissez-moi, faire.
SCÈNE XIV Angélique, Clitandre, Lisette, Lolive.
ANGÉLIQUE
Vous m’avez trahie, Monsieur, le hasard vous trahit à votre tour : je suis fâchée que votre procédé…
CLITANDRE
Faites-moi la grâce de m’écouter un moment, Madame, et vous verrez…
LOLIVE
Je me donne au diable, nous ne sommes point coupables ; il n’y a point de quoi fesser un chat, ou la peste m’étouffe.
LISETTE
Écoutons-les, Madame, peut-être y a-t-il du malentendu dans tout ceci.
ANGÉLIQUE
Allez, Monsieur, le choix que vous avez fait, me venge bien de votre légèreté, je vous assure : cela suffit, et je ne prétends pas…
LOLIVE
Comment le choix ? Qu’est-ce à dire le choix ? Oh, ce n’est point par choix que nous voyons Madame Jaquinet, c’est par une nécessité presque indispensable.
LISETTE
Par une nécessité indispensable ?
LOLIVE
Oui, il faut avoir de la conduite dans le monde, on se trouve dans de certaines situations… Tenez, avec tous ces grands airs que vous voyez à ce petit gentilhomme-là, ce n’est qu’un écolier de Droit, je vous en avertis.
CLITANDRE
Ah, malheureux ! Que vas-tu dire ?
LOLIVE
Paix, laissez-moi faire.
LISETTE
Un écolier, Madame, un écolier !
LOLIVE
Oui, vraiment, un écolier. Il est vrai que depuis que nous vous avons perdues, désespérés de ne point trouver dans le quartier de l’Université de quoi nous consoler de notre infortune, nous nous sommes logés dans le faubourg ; et par les conseils de Madame Jaquinet, Monsieur postule pour être Officier de Dragons.
LISETTE
Votre tante aime furieusement ce corps-là, Madame.
LOLIVE
Nous n’y demeurons que pendant l’hiver, jusqu’au commencement de la campagne, en attendant qu’il nous vienne de l’argent pour acheter une charge. Nous songeons à notre établissement, comme vous voyez.
CLITANDRE
Dans la seule vue de vous plaire, Madame ; de me rendre digne de vous, et de vous aimer toute ma vie.
LOLIVE
Voilà le fait, Madame. Pour vous aimer toute sa vie, il faut vivre ; pour vivre, il faut de l’argent : et comme une espèce de père que nous avons en province ne nous en envoie point, et que Madame Jaquinet a la réputation d’en avoir ; que c’est une de ces âmes charitables qui s’intéressent aux petits besoins des jolis enfants de famille, une de ces généreuses personnes, que nous nommons entre nous autres, les Dames de la Providence… Enfin, Madame, vous comprenez bien qu’il n’y a point d’amour dans notre fait, et que notre visite et nos intentions ne sont point criminelles.
LISETTE
Ces excuses là ne sont point trop mauvaises, qu’en dites-vous, Madame ! Il n’y a pas de mal de songer au solide : il faut vivre, une fois. […]
Texte disponible sur Théâtre classique
Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »