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1663

J. B. P. Molière, La Critique de l'Ecole des femmes

Paris, Ch. Sercy, G. de Luyne, C. Billaine, E. Loyson, J. Guignard, Cl. Barbin, G. Quinet, 1663

Le rire du parterre

Ces personnages de spectateurs débattent, à propos de la réception de l'École des femmes de Molière, de la valeur que l'on peut accorder au rire et au jugement du parterre:

LE MARQUIS :
Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre y fait : je ne veux point d’autre chose, pour témoigner qu’elle ne vaut rien.

DORANTE :
Tu es donc, Marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d’avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde ? Je vis l’autre jour sur le théâtre un de nos amis qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde : et tout ce qui égayait les autres ridait son front. À tous les éclats de rire, il haussait les épaules, et regardait le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il lui disait tout haut, "Ris donc, parterre, ris donc ." Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre ami ; il la donna en galant homme à toute l’assemblée ; et chacun demeura d’accord qu’on ne pouvait pas mieux jouer, qu’il fit. Apprends, Marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n’a point de place déterminée à la comédie ; que la différence du demi-louis d’or, et de la pièce de quinze sols, ne fait rien du tout au bon goût ; que debout et assis on peut donner un mauvais jugement ; et qu’enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à l’approbation du parterre, par la raison qu’entre ceux qui le composent, il y en a plusieurs qui sont capables de juger d’une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d’en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n’avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.

LE MARQUIS :
Te voilà donc, Chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu, je m’en réjouis, et je ne manquerai pas de l’avertir, que tu es de ses amis. Hay, hay, hay, hay, hay, hay.

DORANTE :
Ris tant que tu voudras ; je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille. J’enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui décident toujours, et parlent hardiment de toutes choses, sans s’y connaître ; qui dans une comédie se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons ; qui voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâment de même, et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l’art qu’ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh ! morbleu, Messieurs, taisez-vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connaissance d’une chose ; n’apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu’en ne disant mot, on croira peut-être que vous êtes d’habiles gens.

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