Par support > Pièces de théâtre > L'Impromptu de Versailles

 

1663

J. B. P. Molière, L'Impromptu de Versailles

dans Les Oeuvres posthumes de Monsieur de Molière Paris : D. Thierry : C. Barbin : P. Trabouillet, 1682

La logique de la prévention

Dans cette comédie de comédiens, Molière met en scène la répétition d’une troupe se préparant à jouer pour le roi. Les personnages y exploitent certains codes de la réception dramatique, comme dans cette scène le motif de la prévention : les spectateurs sont prédisposés, avant même d'avoir vu la pièce, à donner leur appui à l'auteur.

Scène V :/p>

DU CROISY :
La représentation de cette comédie, Madame, aura besoin d’être appuyée, et les comédiens de l’Hôtel...

MADEMOISELLE DU PARC :
Mon Dieu, qu’ils n’appréhendent rien, je leur garantis le succès de leur pièce corps pour corps.

MADEMOISELLE MOLIÈRE :
Vous avez raison, Madame, trop de gens sont intéressés à la trouver belle. Je vous laisse à penser si tous ceux qui se croient satirisés par Molière, ne prendront pas l’occasion de se venger de lui en applaudissant à cette comédie.

BRÉCOURT :
Sans doute, et pour moi je réponds de douze marquis, de six précieuses, de vingt coquettes, et de trente cocus, qui ne manqueront pas d’y battre des mains.

MADEMOISELLE MOLIÈRE :
En effet. Pourquoi aller offenser toutes ces personnes-là, et particulièrement les cocus, qui sont les meilleurs gens du monde ?

MOLIÈRE :
Par la sang bleu, on m’a dit qu’on le va dauber lui et toutes ses comédies de la belle manière, et que les comédiens et les auteurs, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope [i] sont diablement animés contre lui.

MADEMOISELLE MOLIÈRE :
Cela lui sied fort bien, pourquoi fait-il de méchantes pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les gens que chacun s’y connaît ? Que ne fait-il des comédies comme celles de Monsieur Lysidas ? Il n’aurait personne contre lui, et tous les auteurs en diraient du bien. Il est vrai que de semblables comédies n’ont pas ce grand concours de monde ; mais en revanche elles sont toujours bien écrites, personne n’écrit contre elles, et tous ceux qui les voient meurent d’envie de les trouver belles.

DU CROISY :
Il est vrai que j’ai l’avantage de ne me point faire d’ennemis, et que tous mes ouvrages ont l’approbation des savants.

MADEMOISELLE MOLIÈRE :
Vous faites bien d’être content de vous, cela vaut mieux que tous les applaudissements du public, et que tout l’argent qu’on saurait gagner aux pièces de Molière. Que vous importe qu’il vienne du monde à vos comédies, pourvu qu’elles soient approuvées par messieurs vos confrères.

LA GRANGE :
Mais quand jouera-t-on Le Portrait du peintre ?

DU CROISY :
Je ne sais, mais je me prépare fort à paraître des premiers sur les rangs, pour crier "Voilà qui est beau."

MOLIÈRE :
Et moi de même parbleu.

LA GRANGE :
Et moi aussi, Dieu me sauve.

MADEMOISELLE DU PARC :
Pour moi j’y payerai de ma personne comme il faut, et je réponds d’une bravoure d’approbation qui mettra en déroute tous les jugements ennemis, c’est bien la moindre chose que nous devions faire, que d’épauler de nos louanges le vengeur de nos intérêts.

MADEMOISELLE MOLIÈRE :
C’est fort bien dit.

MADEMOISELLE DE BRIE :
Et ce qu’il nous faut faire toutes.

MADEMOISELLE BÉJART :
Assurément.

MADEMOISELLE DU CROISY :
Sans doute.

MADEMOISELLE HERVÉ:
Point de quartier à ce contrefaiseur de gens.

Comédie en ligne sur Toutmolière


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »