La compagnie était nombreuse, comme je l'ai dit; on déjeuna, on fit une chasse très heureuse et très agréable, et, au retour, on alla chez un homme de grand mérite, et d'une chère admirable, qui a depuis peu acheté une terre en ce pays-là. Toutes les dames du voisinage s'y étaient rendues, à la réserve de Mlle de Saint-Ormin, qui était un peu incommodée: Mme d'Albimont était chargée de ses excuses envers la dame de cette maison. On dansa, on fit un superbe repas, et quelques personnes de qualité s'étaient diverties à apprendre une comédie qui fut très bien jouée, et qui fut accompagnée de tout ce qu'on pouvait souhaiter dans une agréable fête.
Il fallait voir comme Mme d'Albimont assistait à tous ces divertissements. Elle semblait n'y prendre de part qu'autant que la bienséance et la civilité l'y obligeaient; le marquis affecta de se mettre auprès d'elle, et lui demandait malicieusement son avis sur les endroits tendres de la pièce qu'on jouait: "J'ai si peu d'expérience en amour, lui disait-elle froidement, que je suis un méchant juge de tout ce qui le concerne. J'ai été mariée fort jeune, et j'ai toujours regardé M. d'Albimont comme un homme que la vertu me commandait d'aimer, plutôt que comme un amant. Cette sorte d'amour n'apprend pas à juger des vers tendres, mais il faut bien que ceux qu'on récite soient beaux, car voilà des gens d'esprit et d'un très fin discernement qui s'en récrient comme d'une fort belle chose."