Je n'en n'aurais point de bonnes [raisons] pour m'excuser de vous écrire mon jugement sur l'Astrate, si je l'avais vu au théâtre, ou si je l'avais fait lire en mon Cabinet. Encore aurais-je peur en vous écrivant ces observations, de vous infecter l'esprit du poison qui gâte le mien. Euripide et Sophocle m'ont donné tant de dégoût pour nos modernes, que je ne prends plus aucun plaisir à voir les ouvrages de nos théâtre ;et je voudrais bien qu'Aristote et Scaliger ne m'eussent point fait perdre l'ignorance que la nature m'avait donnée ;je serais ravi de voir mille impertinences qui ne me donnent que du chagrin ;je rirais de bon cœur avec tous les sots du parterre, au lieu que je me fâche contre eux de ce qu'ils rient, lorsqu'il faudrait chasser les acteurs, et interdire le poète. Voyez combien ces doctes Anciens m'ont fait de mal contre les charmes du théâtre ; mais assurez-vous que vous m'en faites autant pour la philosophie. Je ne comprends plus ce que les autres disent ; Aristote et l'Université ne me parlent que galimatias, et plus ils veulent faire les savants, plus ils me paraissent ridicules. Mais il y a des maux dont on ne veut pas guérir ;et quand je ne pourrais pas vous faire venir à mon avis sur le poème dramatique, je ne veux pas quitter vos sentiments sur le sujet de la nature. Revenez seulement bientôt, et préparez de belles nouveautés à nous dire ;je les croirai avec autant de fermeté, que je vous supplie de crois que je suis.
Ariste