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1613
Jean Gracieux dit Des Lauriers ou Bruscambille, Les Nouvelles et plaisantes imaginations de Bruscambille
Paris : impr. de P. Huby, 1613
Défense des comédiens
Dans ce prologue intitulé "Les pitagoriens", Bruscambille prend ardemment la défense des comédiens :
Mais les comédiens, qu'en diront-ils [les réformateurs de magnificats] ? Ha, ha, je savais bien qu'on leur donnerait un coup de gaule par-dessous la porte ;gare la vue, les ruades des mulets sont dangereuses ! Mais, à propos, quelles gens sont-ce ? Des libertins ! Hé, quelle liberté d'être en une servitude perpétuelle, pour pratiquer cette partie de rhétorique, savoir l'action vantée des Grecs et des Latins, pour laquelle Cicéron a tant peiné, et Démosthène tant sué. Ce sont donc des bouffons ! Ha, cette emplâtre convient mieux au mal de ceux qui l'ordonnent qu'à celui de ceux à qui il est ordonné. Si cela était, il faudrait condamner des Grecs :Euripide, Sophocle, Aristophane ;des Latin : Plaute, Sénèque, Térence ;des Français :Ronsard, du Bellay, Belleau, Garnier, Auvray, et toute la troupe des modernes qui n'ont pas voulu que l'action soit périe. Quoi ? appellerons-nous bouffons ceux qui représentent au naturel tant de beaux enseignements, de vertueux exemples qui ne nous ont été laissés qu'en peinture, et qui ne profitent qu'à mesure qu'ils sont représentés et mis au jour ?
On dira encore qu'ils sont passagers. Eh bien, cette vie est-elle autre qu'un perpétuel pèlerinage où l'on doit trop s'arrêter ? Le mouvement des cieux et la mort même nous enseignent que nous ne sommes autres que passagers. Le pire de tout est l'infamie ;mais l'infamie prend son fondement de la vie déréglée, des actions corrompues, ou directement opposées aux lois de la nature. À quoi, je vous prie, répugnent nos actions ? ni à la nature, ni aux lois. Les lois ont distingué deux sortes de spectacles, les uns sanglants, les autres non : les premiers sont abrogés avec raison légitime, les autres sont en partie approuvés et en partie réprouvés. Ceux sont approuvés auxquels on n'exige rien du peuple ;ceux sont réprouvés qui requièrent quelque salaire des spectateurs. Nous voyons maintenant la cause de l'infamie : c'est défense de recueillir le fruit de ses peines qui seront ceux qui, pour donner du contentement à une République, voudront exposer leurs biens, leurs personnes et leur travail ?Que s'ils ont la volonté de le faire, et qu'ils soient dépourvus de moyens, il faudra accuser la nature qu'elle les ait si étroitement barriqués , qu'ils ne puissent faire paraître leur affection au peuple, et d'autre part accuser la loi qu'elle ait tellement bridé le peuple, qu'il ne puisse disposer d'une étincelle de ses moyens, en une récréation si honnête, et lui soit permis d'en abuser une infinité d'autres choses moins licites et honnêtes. Ces discours sont les principaux promenoirs de ces ânes débâtés ;mais pour le salaire, j'espère qu'en la grande catastrophe du monde, nous les verrons reputer des personnages de badins, de guenons, de singes, de bouffons, pour apprêter amplement à rire à ceux qu'ils ont estimé être nés en exercice de semblables abjections : chacun son tour, c'est le jeu du monde.
Édition de 1615 en ligne sur Google Books p. 18-20
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