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1660
Antoine Baudeau de Somaize, Les Précieuses ridicules de Somaize mises en vers
Paris, Ribou, 1660
Le divertissement du lecteur comme but unique
L’éloge très ambigu de Molière ne doit en réalité servir qu’à faire valoir les Précieuses ridicules mises en vers et son auteur. Somaize prône le divertissement du lecteur comme but unique, ce divertissement consistât-il à critiquer sa comédie.
PRÉFACE.
L’usage des préfaces m’a semblé si utile à ceux qui mettent quelque chose en public qu’encore que je sache qu’il n’est pas généralement approuvé, je n’ai pourtant pu m’empêcher de le suivre, résolu, quoi qu’il arrive, de prendre pour garant de ce que je fais la coutume qui les a jusques ici autorisées.
Ce n’est pas que je veuille suivre celle de ces auteurs avides de louanges qui, craignant qu’on ne leur rende pas tout l’honneur qu’ils croient mériter, y insèrent eux-mêmes leurs panégyriques, et font souvent leurs apologies avant qu’on les accuse. Mon but est de divertir le lecteur et de me divertir moi-même. Toutefois, comme il s’en peut trouver d’assez scrupuleux pour croire que c’est trop hasarder d’exposer aux yeux de tout le monde un ouvrage aussi rempli de défauts que celui-ci, sans leur donner du moins quelques apparentes excuses, je veux bien à cet endroit dire quelque chose pour le contenter.
Je dirai d’abord qu’il semblera extraordinaire qu’après avoir loué Mascarille, comme j’ai fait dans Les Véritables Précieuses, je me sois donné la peine de mettre en vers un ouvrage dont il se dit auteur et qui sans doute lui doit quelque chose, si ce n’est parce qu’il y a ajouté de son étoffe au vol qu’il en a fait aux Italiens, à qui Monsieur l’abbé de Pure les avait données, du moins pour y avoir ajouté beaucoup par son jeu, qui plut à assez de gens pour lui donner la vanité d’être le premier farceur de France. C’est toujours quelque chose d’exceller en quelque métier que ce soit et, pour parler selon le vulgaire, il vaut mieux être le premier d’un village que le dernier d’une ville, bon farceur que méchant comédien.
Mais quittons la parenthèse et retournons aux Précieuses. Elles ont été trop généralement reçues et approuvées pour ne pas avouer que j’y ai pris plaisir et qu’elles n’ont rien perdu en français de ce qui les fit suivre en italien. Et ce serait faire le modeste à contretemps de ne pas dire que je crois ne leur avoir rien dérobé de leurs agréments en les mettant en vers ; même, si j’en voulais croire ceux qui les ont vues, je me vanterais d’y avoir beaucoup ajouté. Mais, quand je le dirais, l’on ne serait pas obligé de s’en rapporter à moi et, quand mon lecteur me donnerait un démenti, il serait de ceux qui se souffrent sans peine et qui ne coûtent jamais de sang. Aussi ne veux-je pas les louer et, bien loin de le faire, je dis ingénieusement que ce n’est en bien des endroits que de la prose rimée, qu’on y trouvera plusieurs vers sans repos et dont la cadence est fort rude. Mais le lecteur verra aisément que ce n’est qu’aux endroits où j’ai voulu conserver mot à mot le sens de la prose et lorsque je les ai trouvés tous faits. L’on y verra encore des vers dont le sens est lié et qui sont enchaînés les uns avec les autres comme de pauvres forçats, et d’autres enfin dont les rimes n’ont pas toujours la richesse qu’on leur pourrait donner. Je n’en donnerai pourtant point d’excuse, ne voyant pas être obligé de suivre, dans une comédie comme celle-ci, une règle que les meilleures plumes n’observent pas dans leurs ouvrages les plus sérieux.
Enfin je ne dirai rien des Précieuses en vers qui puisse exiger de ceux qui les verront une bonté forcée. Je ne veux rien que le plaisir du lecteur et serais bien fâché d’ôter le moyen de critiquer ceux qui se plaisent à le faire. Ainsi, quoiqu’il me fût aisé de dire bien des choses pour justifier mes défauts et que je n’eusse qu’à m’étendre sur la difficulté qu’il y a de mettre en vers mot à mot une prose aussi bizarre que celle que j’ai eu à tourner, que je pense facilement faire voir que tout le plaisant des Précieuses consistait presque en des mots aussi contraires à la douceur des vers que nécessaires aux agréments de cette comédie, je laisse pourtant toutes ces choses pour laisser le lecteur en liberté, et je proteste ici que la critique ne m’épouvante point et que je serais fort marri de dire le moindre mot pour l’éviter. Et non seulement je la souffre pour cette version, mais je consens que l’on s’en serve encore à l’égard du Procès des précieuses, qui est de mon invention pure et qui, si tout le monde est de mon sentiment, divertira fort ; au moins ne l’ai-je fait que dans cette pensée.
Cette préface aurait à peu près la longueur qu’elle devrait avoir, et je la finirais volontiers en cet endroit, s’il ne me restait encore un peu de papier qu’il faut remplir de quoi que ce puisse être quand ce ne serait que pour grossir le livre. Toutefois, pour ne me pas éloigner de mon sujet, je dirai, quoique sans dessein de me défendre, que j’aurais eu bien plus de facilité de traduire une pièce de toute autre langue en vers français que d’y mettre une prose faite en ma propre langue. Dans toute autre, j’aurais assez fait de rendre les pensées de mon auteur. Les termes auraient été à ma discrétion et tout aurait presque descendu de mon choix. Mais ici, pour rendre la chose fidèlement, je n’ai pas seulement été contraint de mettre les pensées. Il m’a fallu mettre aussi les mêmes termes. Que si j’ai ajouté ou diminué selon que les rimes m’y ont obligé, je n’ai rien à répondre à cela, sinon que pour les rendre comme elles seraient, il fallait les laisser en prose. Peut-être qu’au sentiment de plusieurs, j’aurais mieux fait que de les mettre en rimes, peut-être aussi qu’au jugement de ceux qui aiment les vers j’aurais fort bien réussi. Tout cela est douteux. Mais il est certain que ce n’est pas là mon plus grand chagrin ; que si ceux pour qui je les ai faites les trouvent à leur gré, il m’est bien indifférent que les autres les condamnent ou les approuvent ; en tout cas que ceux qui ne s’y divertiraient pas aient recours au Dictionnaire des précieuses ou à la satire. Comme tout dépend de ce caprice, peut-être qu’ils y trouveront mieux leur compte. Pour moi je serai content, pourvu qu’ils se divertissent de quelque manière que ce soit.
Préface en ligne sur Molière 21
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