La base de données « Naissance de la critique dramatique » offre plus de 3000 extraits de textes du XVIIe siècle évoquant les oeuvres théâtrales sous l'angle de… [plus]
Par support > Pièces de théâtre > Le Bal d'Auteuil –
1702
Nicolas Boindin, Le Bal d'Auteuil
Paris: Ribou, 1702
Être joué sur le théâtre
Ce prologue présente des spectateurs venus assister à la petite comédie qu'on va représenter pour s'assurer qu'ils ne servent pas de modèles au divertissement du public :
Scène première.
Le Bailli et M. Maigret
M. MAIGRET.
Ah, ah, c'est vous, monsieur le Bailli ? eh ! que diable venez-vous faire ici ?
LE BAILLI.
Eh, parsanguenne, Monsieur Maigret, j'y viens voir ste petite drôlerie qu'ils allont jouer sur le bal de notre village !
M. MAIGRET.
Ah! je vois ce que c'est, Monsieur le Bailli ! Vous craignez qu'on ne réjouisse le public à vos dépens ? Vous autres habitants d'Auteuil, vous avez des femmes un peu égrillardes ? Que l'on pourrait bien toucher quelque chose, oui ?
LE BAILLI.
Non, non, Monsieur Maigret, on n'en touchera rien sur ma parole ! Prenez seulement garde à la vôtre ! Il y aurait, morgué, de quoi faire une bonne farce de l'aventure que vous eûtes avec elle, l'année passée !
M. MAIGRET. Comment donc ! Quelle aventure ? Que voulez-vous dire ?
LE BAILLI.
Et là...Quand vous surprîtes ce billet qu'alle écrivait à un de vos amis communs, pour l'avertir de se trouver au bal, avec une certaine écharpe qu'elle lui envoyait afin de l'y reconnaître ?
M. MAIGRET.
Hé bien ?
LE BAILLI.
Hé bian! Vous fûtes au bal, vous, avec l'écharpe que vous interceptites [sic] ! Votre femme ne manquit pas de donner dans le panneau ! Vous voulûtes voir jusqu'au bout comme alle traitait les amis de la maison ! Mais morgué, vous fûtes le sot du stratagème ! Et alle en fut quitte pour dire qu'alle vous avait reconnu !
M. MAIGRET.
Bon, bon, M. le Bailli, ce n'est là qu'une bagatelle ! Cela ne vaut pas à beaucoup près le tour que vous joua votre ménagère ! ce ne serait, ma foi, pas le plus mauvais de la comédie !
LE BAILLI.
Laissons cela, Monsieur Maigret :si ma femme m'a joué queuque tour, je l'ai morgué bian rossé à mesure ! Nous ne devons rien :ma comédie n'a que voir de cela.
M. MAIGRET.
Ne serait-il pas fort réjouissant, par exemple, de voir aujourd'hui un bailli épier sa femme au bal, après avoir feint d'aller à Paris ? La Baillive s'apercevrait de la fraude ? Elle ferait doubler son déguisement par une commère qui donnerait le change au Bailli, pendant que le galant escamoterait la Baillive ?
LE BAILLI.
Franchement, ça ne me plairait guère !
M. MAIGRET.
Mais quel plaisir de voir le Bailli à la fin du bal, découvrir son masque postiche ! Et demeurer aussi étonné à la vue de la commère, que si les cornes lui venaient à la tête ! J'en rirais, ma foi, de bon coeur !
LE BAILLI.
J'éclaterai, morgué bien à l'écharpe, moi !...mais il me semble pourtant que je sommes tous deux de grands sots! Ne vaudrait-il pas mieux ne rire ni de l'un ni de l'autre, et empêcher que mille badauds ne rissions à nos dépens ?
M. MAIGRET.
La réflexion est de bon sens, Monsieur le Bailli.
LE BAILLI.
Tout Auteuil est intéressé à ça, voyez-vous ? Il n'y a morgué point d'honneur si entier qu'il n'y ait toujours queuque maille à redire ! Mais voici encore un de nos bourgeois fort à propos.
Scène II.
Le Bailli, M. Maigret, M. de La Faquinière
M. DE LA FAQUINIERE.
Hé quoi ! Monsieur le Bailli avec Monsieur Maigret ? Ah parsambleu ! Je ne voulais rien croire du bruit qui court ;mais il n'y a plus moyen d'en douter !
LE BAILLI.
Eh, quel est donc ce bruit qui court, Monsieur de la Faquinière ?
M. DE LA FAQUINIERE.
Oh, pour cela, cela est trop drôle ! on dit que tout le village en alarme s'est assemblé sur la petite pièce d'aujourd'hui ;que les femmes ont mis dans la tête aux maris qu'il y allait de leur honneur d'en empêcher la représentation, et qu'enfin vous êtes député, et même défrayé par eux, pour venir juger ici des intérêts du corps ?
LE BAILLI.
Il est vrai, Monsieur de Faquinière ;mais c'est principalement pour vous que je craignons ;et je ne suis ici que pour empêcher qu'on ne vous joue.
M. DE LA FAQUINIERE.
Me jouer! moi, me jouer ! ha par la sambleu! Je voudrais bien qu'un petit fat d'auteur s'avisât de me tourner en ridicule !
LE BAILLI.
Il n'y a, morgué, rien à tourner à ça ! il n'y a qu'à vous prendre comme vous êtes ! c'est du ridiculement tout craché !
M. DE LA FAQUINIERE.
On dit aussi, mon pauvre Monsieur Maigret, que vous avez envoyé une écharpe à l'auteur, pour l'engager à rayer la vôtre de sa pièce ?
M. MAIGRET.
Et ne dit-on point aussi quel présent Monsieur de la Faquinière lui a fait, pour ne rien dire de sa dernière bonne fortune ?
M. DE FAQUINIERE.
Conte tout pur, conte tout pur ! Mais j'aperçois là haut une Dame qui me fait des mines ? Il faut que j'aille joindre ! sans adieu.
LE BAILLI.
Prenez garde à la rechute, au moins :pour nous, Monsieur Maigret, allons nous mettre à l'amphithéâtre ;et nous prendrons des mesures après la comédie, selon qu'il y a aura de la commère, ou de l'écharpe.
Comédie en ligne sur Gallica p. 3-9
Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »