La base de données « Naissance de la critique dramatique » offre plus de 3000 extraits de textes du XVIIe siècle évoquant les oeuvres théâtrales sous l'angle de… [plus]
Par support > Pièces de théâtre > Les Originaux ou l'Italien –
1693
Antoine Houdar de La Motte, Les Originaux ou l'Italien
in Le Théâtre italien, Amsterdam : Michel Charles Le Cène, 1721
Le talent des acteurs
Parodiant La Princesse d'Elide de Molière, ce prologue présente un auteur qui vient réveiller les acteurs censés représenter sa pièce. Pour les exhorter à "préparer tout", le personnage évoque le talent et la spécialité de chaque acteur:
DU RIMET.
[...] Il s'agit maintenant de jouer ma pièce, d'y donner tout l'agrément que j'attends de vous, de joindre au sel de l'expression, s'il en est, l'échalote et la muscade d'un jeu naturel et divertissant. Mais surtout, quelque succès qu'ait la pièce, je m'en lave les mains ;ne vous en prenez qu'à la saison :car, voyez-vous, il en va d'une comédie tout au rebours des autres productions de la nature. En été, rien de si morfondu, en hiver, rien de si vif et de si chaud ;et souvent, telle pièce agonisante dès la première représentation se remet sur pied et fleurit tout le cours d'un hiver qu'on n'aurait pas souffert quatre jours, si le sort moins favorable à l'auteur eût reculé son exécution jusqu'aux vacances.
CINTHIO.
Vous avez vos raisons pour nous prévenir, Monsieur de Rimet. Vous craignez peut-être que quelque désobligeante symphonie ne condamne votre pièce au cabinet.
DU RIMET.
La saison.
CINTHIO.
ET qu'un vide fâcheux ne se rempare demain de notre théâtre.
DU RIMET.
La saison. Car après tout, Molière lui-même ressuscitât-il avec un chef d'oeuvre nouveau, dites-moi, je vous prie, pourrait-il rassembler pour le voir tant de jeunes guerriers qui se hâlent au soleil des Flandres ? Tant de femmes affligées de la perte d'un sous-mari, qui vont passer en recluses, dans une maison de campagne,le fâcheux interim qui les éloigne d'un jeune officier ? Vaincrait-il le scrupule de ces femmes délicates, qui croiraient commettre un attentat contre leur santé, de venir à la comédie sans manchon ? Redresserait-il les travers du goût de ces jeunes gens qui ne viennent ici que pour lorgner les beautés des loges, et qu'on n'y voit jamais quand ils désespèrent de trouver matière à leurs œillades ? Arracherait-il enfin des genoux de leurs belles tant de conseillers et de financiers, qui ne songent qu'à profiter du temps qu'ils ont à soupirer avec espoir ?
PIERROT.
Jarnigoy, vous jasez tout comme une comédie !
DU RIMET.
Mais c'est trop s'amuser à la moutarde, mettez-vous en état d'officier ma pièce. Je me repose de ses intérêts sur l'habileté du seigneur Cinthio, le tendre du seigneur Octave, le bouffon de Mezzetin, l'agilité de Pasquariel, le naïf de Pierrot, les bons mots et la souplesse d'Arlequin, la mémoire ingénieuse de Colombine, et l'agrément de Marinette ;je vous suis seulement caution que si tout fait son devoir, les sifflet n'y mettront point leur nez.
CINTHIO.
Méchante caution, ne vous en déplaise. Nous avons, nous autres hommes, des sentiments de père pour nos productions qui nous fascinent extraordinairement les yeux. Nous n'y voyons qu'or et que pierreries, quand les autres n'y voient que paille et que fumier. Croyez-moi, nous le savons par expérience, chaque auteur croit sa pièce un phœnix, ne fût-elle seulement pas digne du nom de chauve-souris.
DU RIMET.
J'en demeure d'accord, mais c'est à vous à n'en pas être les dupes, et à ne pas déshonorer le théâtre par les heures perdues d'un fat, qui cousant bout à bout cinq ou six méchants dialogues, s'imagine construire une comédie insifflable.
CINTHIO.
Mon Dieu ! Nous n'avons pas tant de tort que l'on pense. L’exécution devient souvent l'écueil d'un ouvrage qu'à la lecture on aurait pris pour quelque chose. Tenez, ce sont de ces tableaux du premier jour de mai :chef d’œuvre dans la chambre, moins qu'apprentissage au Parvis.
THALIE. Descend d'une machine
Acteurs, reconnaissez Thalie,
La Muse de la comédie.
Ne craignez point des spectateurs lassés
L'harmonieuse colère ;/strong>
Jouez en paix, ce vous doit être assez
Que du succès je me fasse une affaire.
Des sifflets mon pouvoir vous saura garantir,
Et je conjure le parterre,
De ne me point faire mentir.
TOUS.
Nous conjurons le Parterre,
De ne la point faire mentir.
éd. F. B. Assaf, Tübingen, "Biblio 17", 2012, p.33-35
Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »