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1626

Charles Sorel, Histoire comique de Francion

Paris, Billaine, 1626

Une représentation(-catastrophe) de collège

Ce long épisode du Francion narre la représentation ridicule et très amusante d'une tragédie non moins risible composé par le recteur du collège, pédant notoire :

Notre régent avec toutes ses belles qualités ne laissa pas de nous vouloir faire jouer des jeux en français de sa façon, car il tranchait grandement du poète. Il y eût beaucoup d’écoliers qui prirent des personnages, et le désir que j’avais de me voir une fois prince en ma vie m’en fit aussi prendre un, car c’était une tragédie où il ne venait que des monarques et des grands seigneurs en la scène. Et même, j’eus tant d’ambition que je voulus aussi être le Dieu Apollon en une moralité latine qui se jouait par intermèdes. Jamais vous ne vites rien de si mal ordonné que notre théâtre. Pour représenter une fontaine on avait mis celle de la cuisine sans la cacher de toile ni de branchage et l’on avait attaché les arbres au ciel parmi les nuées. Nos habits étaient très mal assortis, car il y avait le sacrificateur d’un temps des payens qui étaient vêtu comme un prêtre chrétien, d’une Aube blanche et avait par-dessus la chappe dont l’on se servait à dire la messe en notre chapelle.

Au reste, la disposition des actes était si admirable, les vers si bien composés, le sujet si beau et les raisons si bonnes qu’en ayant trouvé parmi de vieux papiers quelques fragments il y a deux mois, je pensai vomir tripes et boyaux, tant cela me fit mal au cœur : mon Dieu, ce dis-je, est-il possible que Francion ait autrefois proféré de si sottes paroles ? Et quant et quant je jetai dans le feu cette horrible pièce. Lorsque j’en jouai mon personnage, il n’y avait rien qui ne me semblait extrêmement bien fait et je tâchais d’en imiter les vers lorsque j’en voulais composer d’autres. Même, j’étais si aveugle qu’encore que j’en eusse trouvé la plupart dans les comédies imprimées, dans la farce de Pathelin et dans le Roman de la Rose d’où le pédant les avait fripés, je ne tranchais rien de la gloire que je lui donnais. Il faut que je vous conte quelques unes des plaisantes impertinences qu’il commit en sa pièce, aussi bien à la faire représenter qu’à en composer les paroles. Jupiter se plaignait qu’il avait mal à la tête et disait qu’il s’en allait coucher et qu’on lui apprêtât un bouillon et un consommé. Cela eût été bon si l’auteur eût feint qu’il était à cette heure-là gros de Minerve.

Au reste, il arriva un grand esclandre : j’avais été tué à la tragédie par mon ennemi et après cela, je faisais le personnage d’une furie qui venait tourmenter l’homicide. Pendant que j’étais sur le théâtre avec celui que je poursuivais, il y eut un acteur qui ayant aussi à changer d’habit, ne savait où mettre ses premiers. Parce qu’il était familier du régent, le voyant nu-tête il le couvrit d’un turban qu’il avait et lui jeta sa casaque dessus les épaules, dont il mit après les manches quoiqu’il eût sa soutane à cause qu’il faisait encore fort froid. En même temps, celui après qui je courais de tous côtés, tenant un flambeau ardent avec des postures étranges, comme s’il eût été saisi d’horreur de me voir, commença d’hésiter en ses plaintes et récita six fois un même vers, sans pouvoir trouver en sa mémoire celui qui devait suivre. Pensant que je m’en souviendrais mieux que lui, à cause que je l’avais ouï par plusieurs fois répéter, il me disait : « comment est-ce qu’il y a, après ? Francion, souffle-moi. » Mais sans songer à ce qu’il demandait, je tournoyais d’un côté et d’autre.

Notre régent, extrêmement en colère de voir cette ânerie, sort avec son libelle à la main sans songer au vêtement qu’il avait pris, et le venant frapper d’un coup de poing lui dit : « va, va, ignorant, je n’acquerrai que du déshonneur avec toi. Lis ton personnage. » Cet autre prend le papier et se retire vitement derrière la tapisserie, pensant que ce fût le vouloir du régent. Moi, voyant mon maître accoutré tout de même que celui qui venait de sortir (car nos habits venant des défroques d’un ballet du roi, étaient presque tous pareils), je crois qu’il vient là au lieu de lui pour achever le personnage qu’il n’a pu faire. Je le prends donc par une manche, comme il m’avait été enseigné, et le faisant tourner et courir d’un côté et d’autre, je lui passe le flambeau par devant le nez, tellement que je lui brûlai presque toute la barbe. Tandis que mon compagnon qui avait manqué, n’oyant point réciter ces vers à mon maître, croyait qu’il les eût oubliés aussi bien que lui et les lui soufflait si haut que l’on le pouvait entendre du bout de la salle. Pensant alors qu’il fût devenu sourd, il rentra en la scène et les lui vint crier aux oreilles. Cela me confirma davantage en l’opinion que j’avais conçue que notre pédant voulût jouer ce personnage de l’homicide et comme j’étais plus fort que lui, je le tourmentai tant qu’à la fin il fut contraint de se laisser choir à terre. Je vous proteste que la poix raisine que je brûlais l’entêtait de telle manière qu'avec les secousses que je lui donnais, elle fût cause qu’en un instant il devint comme tout pâmé et que ses esprits furent si affaiblis qu’il ne me pouvait pas dire distinctement que je le laissasse. A n’en point mentir, je ne vous nie pas qu’il y eût beaucoup de malice de mon côté et que je ne lui fisse ce traitement quasi tout exprès pour me venger de la cruauté qu’il avait aucune fois exercée sur moi. Car si mon compagnon eût gardé son personnage, je ne lui eusse pas fait souffrir tant de mal. Mais je vous assure bien que jamais, en quelque farce ni en quelque mômerie que ce soit, l’on n’a pris autant de contentement que l’on fit en nos jeux, où il arriva de si plaisants succès.

L’on me donna la gloire d’avoir le mieux fait de tous les acteurs, qui étaient pour la plupart des caillettes de parisiens qui, selon les sots enseignements du régent rempli de civilité comme un porcher, tenaient chacun un beau mouchoir à la main par faute d’autre contenance et prononçaient les vers en les chantant et faisant souvent un éclat de voix plus haut que les autres. Pour bien faire, je faisais tout le contraire de ce que mon maître m’avait enseigné et quand il me fallait saluer quelqu’un, ma révérence était à la courtisane, non pas à la mode des enfants du Saint-Esprit, qu’il m’avait voulu contraindre d’imiter. Au reste, je ne faisais des gestes ni des démarches qu’aux lieux où la raison me montrait qu’il en était besoin, mais je me repentis bien à loisir d’avoir trop bien représenté la furie. Car mon régent, voyant que tout le collège et beaucoup de gens d’honneur de la ville s’étaient moqués de lui, voulut tirer de moi une vengeance exemplaire, et à la première faute que je commis, il me déchiqueta les fesses avec des verges plus profondément qu’un barbier ne déchiquette le dos d’un malade qu’il ventouse.

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