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1626
Charles Sorel, Histoire comique de Francion
Paris, Billaine, 1626
Des comédies et des chansons pour se divertir
Comme le pédant Hortensius ne fournit plus de divertissement, Francion présente tour à tour plusieurs troupes et plusieurs spectacles dont l'un récupère de façon parodique des vieilles chansons populaires :
Francion, voyant que ce pédant tombait en une mauvaise humeur qui ne leur donnait pas de plaisir, alla passer la plus grande partie de la journée à deviser avec sa Maîtresse. Pour le jour suivant, considérant encore qu’Hortensius ne leur pouvait plus fournir d’ébattement, au lieu de sa comédie naturelle, il eût recours aux comédiens italiens qui vinrent jouer chez Nays où il se trouve une fort belle compagnie. Il y avait quelques jours qu’il leur avait appris toutes les plaisanteries que son brave précepteur avait faites lors qu’il était au collège sous lui. Ce fut là le seul sujet de leur pièce et le seigneur Dottor représenta ce pédant. Hortensius vit tout ceci, mais il ne croyait pas que ce fût de lui que l’on voulût parler. Il avait trop bonne opinion de soi pour croire que l’on fît des farces de ses actions.
Le lendemain les mêmes comédiens jouèrent une pièce chez Raymond, d’une nouvelle invention. Elle était composée de divers langages qui n’étaient qu’écorchés, tellement que ceux qui entendaient l’Italien y pouvaient comprendre tout. Mais le jour d’après celui-ci, il y eût des comédiens plus illustres qui se mêlèrent de monter sur le théâtre. Francion, Raymond, Audebert, du Buisson et deux autres gentilshommes français avaient appris depuis peu une comédie où ils avaient tous mis la main, laquelle ils allèrent jouer chez Nays. Elle était composée de chansons françaises et n’y avait pas un mot qui ne fût tiré des plus vulgaires et ce qui était admirable, c’est que l’on y remarquait un sujet de même que si les vers eussent été faits tout exprès. Raymond faisait le courtisan amoureux et après avoir déclaré ses passions à son valet qui était Audebert, il faisait une exclamation comme s’il eût été devant sa maîtresse et il disait à la fin : je meurs, je meurs, pour vous aimer fidèlement. Et Audebert le regardant alors avec une contenance bouffonne, lui répondait :
Hélas Guillaume, sur le vert, sur le gris, sur le jaune,
Hélas Guillaume t’y lairas-tu mourir ?
Après cela la maîtresse de Raymond arrivait, qui était du Buisson habillé en fille. Raymond le cajolait d’une belle sorte et pour les paroles des airs de Cour qu’ils lui disait, les réparties de cette belle étaient tirées des plus vieilles chansons des musiciens du Pont-Neuf de Paris et des fileuses de village. Il lui disait, entre autres choses,
C’en est fait, ô Coris, ton oeil plein d’appâts,
Me conduit au trépas.
Et elle répondait :
Si c’est pour mon pucelage,
Que vous me faites l’amour,
Je le donnai l’autre jour,
A un garçon de village.
C’en est fait, il me faut mourir
Disait Raymond
Puisqu’au lieu de me secourir
Vous fermez l’oreille à ma plainte
Et sa maîtresse répondait
Ce n’est que vent des hommes,
Il ne faut plus penser
Là-dessus, le valet et un autre qui arrivait allaient la caresser et Raymond les repoussant leur disait :
Cessez, mortels, de soupirer
Cette beauté n’est pas mortelle
Si c’est un crime que l’aimer
Répondait le valet
On n’en doit seulement blâmer
Que les beautés qui sont en elle.
Après cette scène, il s’en fit une où une autre peronelle traitait d’amour avec un gros drôle qui disait en la baisant :
Que ce baiser me semble bon
Quand j’ai la main sur ce téton
Je ne veux plus que l’on me touche
Disait-elle
Vous gâtez tout mon bavolet
Mademoiselle
Répliquait l’amant
C’est l’état du métier.
Chemise noire au charbonnier
En un autre acte, Raymond allait donner une sérénade à sa Dame et disait à son valet
Allons de nos voix et de nos luths d’ivoire charmer les esprits
Et comme il avait joué de la guitare, la belle qui l’écoutait par sa fenêtre et disait à sa confidente : « Alidore beau comme le Dieu qui fait aimer possède encore la voix d’un Ange pour me charmer. » Et la confidente répondait : « Je doute qui charme le mieux, de la voix, de l’esprit, de la bouche, ou des yeux. Il faut, pour t’empêcher de l’aimer, ni le voir, ni l’entendre » ajoutait l’autre. Et alors l’Amant se voyant tant louer, entrait en présomption et disait tout ravi de son harmonie propre :
*Je suis cet Amphion la merveille du monde ».
Un peu après, il s’en alla, disant :
Quittons la promenade,
Et la sérénade
Et nos luths charmants
Mais ce ne fut pas sans avoir auparavant prié sa femme de lui ouvrir par ces paroles :
*Belle bergère * *Ce Berger ne demande qu’à loger * *Las, je suis exposé au vent et à l’orage. * *Madame, à tout le moins, * Logez-moi mon bagage.*
Tout le reste de la comédie était composé de discours aussi à propos comme ceux-là, mais c’est assez d’en avoir mis cet échantillon, si vous en saviez davantage vous feriez votre profit. **Il y avait là beaucoup de Français qui y prirent un plaisir extrême. Et pour Nays et quelques autres femmes italiennes, elles ne laissèrent pas d’y en avoir bien autant, encore que toutes ces chansons qui étaient françaises ne leur fussent pas connues, d’autant que les réparties étaient si bonnes et la suite si belle que cela ne pouvait être qu’agréable. Les habits étaient grotesques comme les vers, les gentilshommes étaient habillés moitié à l’italienne et moitié à l’espagnole et leurs valets avaient des habits les plus bouffons que l’on vit jamais. Pour les demoiselles, elles avaient des vertugadins aussi larges qu’une meule de moulin et des collets où leur tête était entassée comme une pomme de chou entre ses feuilles. Les airs qui se chantaient à la fin des actes n’avaient rien aussi que de facétieux et la musique était composée de luths, de guitares et de trompes de laquais fort bien accordées ensemble et de deux voix seulement, craignant que ces instruments ne fussent pas assez ouïs. Ces jolies inventions plurent tant à Nays qu’elle eût envie de voir quelque jour une pareille comédie composée de chansons italiennes et l’on dit que depuis quelque temps elle en fait jouer une fort agréable pour rendre le change à Francion.
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