La base de données « Naissance de la critique dramatique » offre plus de 3000 extraits de textes du XVIIe siècle évoquant les oeuvres théâtrales sous l'angle de… [plus]
Par support > Pièces de théâtre > Les Amours de Calotin –
1664
Jean Chevalier, Les Amours de Calotin
Paris, T. Jolly, 1664
Molière spectateur
Cette pièce est l'une des dernières répliques de la "Querelle de L'Ecole des femmes": le premier acte de cette petite comédie met en scène des spectateurs attendant le début de la pièce. Le Comte raconte à la scène 3 une représentation du Portrait du Peintre de Boursault, à laquelle a assisté Molière:
LE COMTE.
Mais avant qu'on commence ici la comédie,
Il faut que je te conte une histoire jolie,
Dont Molière a causé la conversation,
Et digne assurément de ton attention.
Dernièrement étant à La Contre-critique,
Je reçus là, Marquis, un plaisir angélique.
Comme de notre peintre on faisait le portrait,
Et que l'on le croyait tirer là trait pour trait,
Tu sauras que lui-même en cette conjoncture,
Était présent alors que l'on fit sa peinture,
De sorte que ce fut un charme sans égal,
De voir et la copie, et son original.
On prit par tous endroits son École des femmes,
Où, pour la critiquer, quelqu'une de ces dames
Alla dans ce moment appliquer tout son choix
A l'endroit de la soupe où l'on trempe les doigts.
Puis de là ces Messieurs, d'une satire extrême,
Donnèrent en suivant dans la tarte à la crème ;
Et le plus enjoué qu'ils drapèrent après,
Ce fut celui du le, ce charmant le d'Agnès.
Quoi! n'est-ce pas malice à nulle autre seconde,
D'oser blâmer ce le, ce délice du monde ?
Ce n'est pas encor tout, ils blâmèrent l'auteur
Des pièces dont il a réveillé l'auditeur,
Et de cette façon dont Alain et Georgette
S'appellent l'un et l'autre, et que drapa le poète.
Ce qui fut plus plaisant, c'est qu'un certain d'entre eux,
Dit que la pièce était un poème sérieux,
Que bien loin que ce fût une pièce comique,
Qu'il ne s'en pouvait voir aucune plus tragique.
Les autres sur ce point ne restant pas d'accord,
Il leur dit là-dessus : Le petit chat est mort,
Et soutint hautement que c'était tragédie,
Puisque le petit chat avait perdu la vie.
Ayant de notre peintre attaqué la vertu,
Quelqu'un lui demanda : "Molière, qu'en dis tu" ?
Lui répondit d'abord, de son ton agréable :
Admirable, morbleu! du dernier admirable ;
Et je me trouve là tellement bien tiré,
Qu'avant qu'il soit huit jours, certes, j'y répondrai.
LE BARON :
Mais l’on m’a dit à moi qu’il fit à quelques dames
La réponse qu’il fait à L’Ecole des femmes,
Lorsqu’il n’en riait pas assez à leur avis,
Il leur dit : "Moi j’en ris tout autant que je puis".
LE COMTE :
Tu sauras que, depuis, cet illustre Molière
Les a tous ajustés de la bonne manière,
Et cet esprit en soi qui n'a rien que de haut,
A su tailler beaucoup de besogne à Boursault.
LE CHEVALIER :
Moi, je sais bien où tend toute cette satire,
Ces messieurs n’ont dessein que de nous faire rire,
Et quand vous les voyez se faire à qui pis pis
Ce n’est que pour avoir notre demi-louis.
Comédie en ligne sur Gallica p. 21
Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »