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1638
Le Vert, Le Docteur amoureux
Paris: A. Courbé, 1634
Lecture vs Représentation
Dans son avis au lecteur, l'auteur rappelle que le succès de la pièce est aussi dû aux comédiens de l'Hôtel de Bourgogne qui l'ont interprétée.
Lecteur,
Je te donne une pièce dans une raisonnable médiocrité. Les défauts que tu y remarqueras ne sont pas assez grands pour la faire mépriser aux délicats, ni ses beautés assez suspectes pour mériter qu’on en dégoûte le monde. Je me dépouille moi-même de l’affection que je devrais avoir pour elle et, comme je ne la crois point parfaite, je ne prétends point aussi faire son apologie, ni excuser ce qu’il y a de faible. Le sujet n’est pas peut-être dans cette sévère justesse que les fâcheux demandent. Aussi serais-je bien marri que mon coup d’essai eût été un coup de maître, puisque j’aurais de la peine à me surmonter par après moi-même, si l’humeur m’en disait encore une fois. Je suis bien aise en cela de n’avoir affaire qu’à moi et, puisque j’ai presque contenté la cour en ne faisant que médiocrement, je me promets que je la satisferai absolument, quand j’entreprendrai quelque chose où je réussisse mieux. Ce n’est pas après tout que je te veuille persuader que cet ouvrage ne soit pas assez bon pour être lu. Je ne suis pas si peu jaloux de l’honneur qu’il a acquis à la représentation que je m’efforce à t’en donner de mauvaises impressions. Ma réputation et le libraire n’y trouveraient pas leur compte, et je désobligerais contre toute sorte de raison quantité d’excellentes personnes qui lui ont donné de favorables applaudissements. Au contraire, s’il m’était ici permis de lui donner les louanges qu’il mérite, je te dirais des choses de la Vieille et de Julien qui leur seraient presque dues, et je mettrais particulièrement Fabrice en posture de nazarder tous les plus raffinés dottori des Italiens. Mais je tomberais peut-être dans un défaut dont je ne suis point capable, et l’on croirait justement que tout le monde les aurait désapprouvés, puisque je ferais moi-même leurs éloges. J’en laisse le jugement aux habiles désintéressés qui l’ont vu représenter, et te conseille, lecteur, de suspendre le tien, jusqu’à ce que tu l’aies ouï par la bouche des originaux. Les comédiens y donnent des grâces que tu ne saurais t’imaginer en le lisant, de sorte que ceux qui lui font visite dans l’Hôtel de Bourgogne, l’estimeront toujours davantage que les autres qui ne le connaîtront que par la lecture. Au reste, sans trancher de l’auteur, et sans m’embarrasser à te rendre raison pourquoi, le Docteur n’étant qu’un épisode, je n’appelle pas cette pièce du nom de son héros ou de l’héroïne. Je te dirai seulement que j’ai voulu en cela imiter les comédiens qui ont toujours convié les honnêtes gens, et attiré le bourgeois sous le nom de Fabrice. En effet je crois, si tu n’es de mauvaise humeur, que ses nouvelles grâces te satisferont, et que tu excuseras facilement si les autres personnages se contentent de ne rien dire de mauvais.
Adieu lecteur, et puisque je te dis moi-même que je n’estime point cet ouvrage parfait, garde-toi bien de le censurer parce que nous ne serions pas amis.
Préface en ligne sur Les idées du théâtre
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