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1648

Claude de L'Estoile, L'Intrigue des filous

Paris: A. de Sommaville, 1648

Du jugement du peuple

En faisant parler les personnages de sa pièce, l'auteur évoque le succès des représentations et la méfiance envers les applaudissements du peuple. Seule l'approbation du dédicataire Charles Testu pourra témoigner de la qualité de la comédie:

[Les personnages de filous] ont fait possible autant que les autres [véritables filous condamnés par le dédicataire], mais leur adresse est leur excuse : elle a comme fasciné les yeux de leurs témoins, en leur faisant voir que les crimes sont beaux quand ils les font et qu'il y peut avoir de la gloire à faire le métier dont ils se mêlent. [...] Les termes dont ils expriment leur pensées sont grotesques ; la manière dont ils attrapent les plus fins l'est encore davantage, et le receleur dont ils se servent n'est pas fou, mais il n'est guère moins plaisant que s'il l'était. Il n'est point de mélancolie à l'épreuve de sa mine et de son langage ; et il faudrait être plus chagrin que ce philosophe qui pleurait toujours, pour ne pas rire au récit de ses aventures. Enfin, Monsieur, ils font le divertissement et des yeux, et des oreilles et, comme ils ont plus d'agrément ou de bonheur que les autres, ils ont aussi plus de privilège.[...] Mais quelque licence et quelque applaudissement qu'on leur donne dans les assemblées, ils en prennent peu de vanité et se défient avec raison de l'approbation de la multitude. Quoique ce monstre ait un nombre infini d'yeux, il ne voit que la superficie des choses et, pour avoir tant de têtes, il n'en a pas plus de jugement. Ils croient donc que c'est à vous et non pas à lui à prononcer sur leurs actions, et ils ne sont entrés chez vous qu'avec crainte, sachant bien que ce qu'il admire le plus est quelquefois ce que vous condamnez davantage. Ils appréhendent d'être examinés en particulier par un juge si clairvoyant et si juste et de n'être rien moins dans le cabinet que ce qu'ils paraissent sur le théâtre. [...] Il me semble toutefois qu'ils ne sont pas si criminels qu'ils s'imaginent et qu'étant plus dignes de faveur que de châtiment, votre bonté peut parler pour eux à votre justice. Ce ne sont pas des filous ordinaires, de ces trouble-fêtes dont la rencontre est importune. On accourt en foule pour les voir et, comme il y a plus de gloire à les protéger qu'à les perdre, je pourrais les adresser sans rougir au plus grand prince de la terre.

Préface en ligne sur Gallica NP 4-8


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