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1665
[Anonyme], Les Récréations françaises
vol. II, Rouen, Cabut, 1665.
Trop pleurer fait rire
Au sein de ce recueils de bons mots, cette représentation privée où l'hilarité est provoquée par un seigneur trop sensible à l'action dramatique :
Une dame de haute condition ayant le soir convié une bonne compagnie chez elle, elle leur voulut donner après souper le divertissement de la comédie. Et sachant qu’un seigneur qualifié qui était du nombre des conviés avait fort peu de cervelle et une grande tendresse pour toutes les choses qui pouvaient donner de la compassion, que la moindre lui tirait des larmes des yeux, elle demanda aux comédiens la Sophonisbe, histoire romaine parfaitement bien mise au théâtre par Monsieur Mairet, qui est une tragédie extrêmement pitoyable particulièrement sur là, quand Massinisse est contraint par Scipion d’empoisonner cette belle reine qu’il adorait pour satisfaire à la brutalité de ce tyran, cruel exécuteur des passions barbares de ce peuple inhumain. Aussi lui fait-il dire de si belles chose et si pitoyables que je ne m’étonne point si elles furent capables de tirer des pleurs des spectateurs.
Mais ce seigneur dont je vous parle se trouva si sensiblement touché de compassion que les larmes en abondance lui tombèrent des yeux, avec des soupirs qui retentissaient aussi haut que ceux des autres, et comme si véritablement la chose fut venue d’arriver. Ce qui obligea les spectateurs à pleurer aussi fort que lui, mais c’était à force d’en rire. Ce que voyant cette dame ravie d’être venue à bout de son dessein, elle lui dit en riant, étant assise auprès de lui :
– Comment, Monsieur, vous pleurez ?
A quoi il répondit en essuyant ses yeux qui étaient rouges comme écarlate, avec une parole entrecoupée de soupirs et de sanglots :
– Je crois bien, Madame, je ne puis m’en empêcher, cela m’est trop sensible.
A quoi cette dame repartit :
– Si cela qui ne vous doit pas toucher vous est si sensible, que feriez-vous si on vous apportait des nouvelles de la mort de votre femme et de vos enfants !
– Ah, Madame, lui dit-il, ce n’est pas de même, car c’est ici une histoire vraie, je l’ai lue dans Tite-Live.
Voyez si ce discours n’était pas suffisant d’accroître encore les pleurs à force d’en rire.
Les Récréations françaises, vol. II, Rouen, Cabut, 1665, p. 33-34.
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