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1667
Mlle de Scudéry, Mathilde
Paris, Martin, 1667
La comédie dans l'économie des loisirs
Les devisants d'une longue conversation de cette nouvelle discutent des caractéristiques des différents loisirs qu'offre leur monde :
Ce n’est pas, ajouta-t-il, que qui me proposerait d’aller à la chasse par un vilain temps comme font les chasseurs déterminés, je n’aimasse mieux aller à la comédie.
– On ne vous dit pas, dit alors Plotine, que vous soyez obligé d’accepter tous les plaisirs qu’on vous propose, car pour moi, je n’aime non plus la pêche que vous aimez la chasse et je n’ai jamais compris qu’il y eût un grand plaisir à voir un grand nombre de poissons se battre dans des filets, troubler l’eau, se laisser prendre sans pouvoir faire résistance.
– Sachant que vous dansez parfaitement bien, dit Philiste, je m’imagine que vous préférez le bal à tous les plaisirs.
– Le bal est assurément une très agréable chose, répliqua Plotine, mais comme les dames ne dansent de bonne grâce dans le monde qu’un certain nombre d’années, je songe déjà quel autre plaisir je chercherai dans deux ou trois ans.
– La musique en est un qui peut durer toute la vie, dit Mériandre.
**– J’en conviens, répliqua Plotine, mais il me semble que quand une femme qui a été assez belle n’entend plus chanter les chansons qu’on a faites pour elle et que l’admirable Lambert et la charmante Hilaire ne disent plus devant elle que des airs nouveaux faits pour des beautés naissantes, elle n’y prend plus guères de plaisir et je suis persuadée que celles qui n’y ont plus de part et qui jugent qu’elles n’y en peuvent plus avoir n’aiment plus tant la musique.
– Mais du moins pour la comédie, dit Thémiste, demeurez d’accord que c’est un plaisir de tous les âges, de toutes les saisons et de toutes les humeurs, car il y a des poèmes sérieux, d’autres plus enjoués. C’est un tableau de toutes les passions, les beautés de l’histoire et de la fable y sont bien souvent jointes ensemble, le vice y est puni et la vertu récompensée et chacun y peut trouver quelque chose selon son goût.
– Principalement, interrompit Plotine en souriant, quand on a le coeur rempli d’ambition, puisque c’est là qu’on voit tous les grands événements de l’histoire. Mais pour moi, j’avoue sincèrement que quoi que j’aime fort à voir tous les beaux ouvrages, surtout quand ils sont nouveaux, je ne voudrais pas que ce fut mon unique plaisir et il cesserait de l’être si je n’en avais jamais d’autre. **
– Pour moi, dit Cléocrite, je le prends comme le hasard me les donne sans m’en mettre en peine, je ne les cherche ni ne les fuis, je crois qu’on peut chercher la Fortune et la trouver. Mais il me semble que les plaisirs fuient ceux qui les cherchent avec tant d’empressement et que la peine qu’on se donne pour cela les fait acheter trop cher.
[…]
– Croyez-moi, dit Plotine, ne nous amusons point à blâmer nul des plaisirs, il n’y en saurait trop en avoir. Laissez aimer la chasse aux chasseurs, la musique aux âmes tendres, la comédie à ceux qui aiment les belles choses, la danse à ceux qui dansent bien, la promenade et la conversation à ceux qui ont l’esprit galant, les superbes fêtes à ceux qui les peuvent donner, les carrousels, les courses de bague et les autres grands plaisirs aux grands princes, et ne condamnez pas même ceux qui pourraient se divertir à jouer aux noisettes.
– A ce que je vois, dit la belle Noromante, vous ne blâmez donc pas ceux qui s’amusent à jouer à de petits jeux, comme le jeu des proverbes, des soupirs, de l’oracle, di roman, du propos interrompu, des fontaines, des tableaux et plusieurs autres où il ne faut pas tant d’esprit.
– Je n’ai garde de les condamner, dit Plotine et je vous assure que j’y ai joué deux ou trois fois en ma vie avec beaucoup de joie. **Mais je regarde plutôt ces sortes de choses-là comme un amusement que comme un plaisir. On n’enverrait pas prier de jouer à de petits jeux comme on envoie prier du bal et de la comédie. **
Nouvelle disponible sur Gallica.
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