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1681
[Anonyme], Entretiens galants
Paris : Ribou, 1681.
Molière de bon goût
Célinde reçoit ses amis dans sa propriété sarthoise et converse avec eux de thèmes galants tels que la « solitude » ou le « tête-à-tête » entre amants. Dans l'entretien consacré au « bon goût », un personnage convoque une citation du Misanthrope, puis du Cocu Imaginaire pour illustrer son propos, non sans rappeler les caractéristiques désormais doxales de l'auteur :
– Mais en vérité il n’est plus aisé d’écrire en vers. Le bon goût du siècle a rendu la poésie bien difficile. On n’y souffre plus l’hyperbole, ni les expressions un peu trop hardies. La fiction même n’y plaît point, si elle n’y est bien dans la vraisemblance. On y veut à la fois de la force et du brillant, du bon sens et de l’esprit ; on y cherche principalement une belle nature ; nous ne trouvons plus beau, que ce qui est vrai. Il n’est plus permis à nos poètes de nous peindre leurs chimères. Il faut, pour nous plaire, qu’ils copient juste nos propres sentiments. Tout ce qui semble sortir de la nature heurte notre raison. Nous nous gendarmons d'abord, nous devenons misanthrope, et nous répondons :
Ce n’est que jeu de mots, affectation pure ;
Et ce n’est pas ainsi que parle la nature.
– Je savais bien que vous nous citeriez Molière, il est de votre goût, dit Célinde.
– Il est du goût de tout le monde, répondit Bérélie, parce qu’il était lui même de bon goût. Il a bien connu son siècle. Il en a réformé les mœurs, et il a corrigé les vices du temps par les peintures qu’il en a faites. Il entre d’une manière admirable dans le ridicule des hommes. J’étudie ses ouvrages plutôt que je ne les lis. Ils instruisent autant qu’ils divertissent, et nous voyons en effet que ses pièces, toutes vieilles qu’elles sont, l’emportent hautement sur les nouveautés dont on nous fatigue.
– Personne ne s’avise de disputer cette préférence à Molière, ajouta Philémon, et tout le monde convient que la plus belle tirade des pièces que nous estimons le plus ne vaut pas ce seul vers du Cocu imaginaire :
Elles font la sottise et nous sommes les sots
– C’est que vous aimez le comique un peu plus que le sérieux, repartit Célinde.
– N’a-t-il pas raison ? répliqua Bérélie.
– Il ne faut pas disputer des goûts, reprit Célinde.
Entretien en ligne sur Gallica p. 142-146.
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