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1666
Antoine Furetière, Le Roman bourgeois
Paris: L. Billaine, 1666
Récit burlesque de Cinna
Laurence, bourgeoise de Paris « accoutumée à voir du beau monde », rend visite à la famille Vollichon en province. L’ennui qu’éprouve Laurence à s’entretenir dans de « basses conversations » est interrompu par l’arrivée de Vollichon qui revient du théâtre très excité par cette sortie festive à laquelle son activité laborieuse d’avocat petit-bourgeois ne l’a pas habitué. Il raconte la représentation de Cinna sur le mode burlesque, commente et évalue selon ses critères la qualité de la pièce de Corneille:
Laurence riait encore de ce plaisant ressentiment, quand Vollichon entra dans la chambre. Il avait tout le jour fait la débauche ayant été à la comédie, et de là au cabaret, où une de ses parties l'avait traité. L'épargne d'un repas et les fumées du vin l'avaient rendu plus gai que de coutume, ce qui l'avait empêché de s'aller renfermer dans son étude, pour y travailler jusqu'à minuit comme il avait accoutumé. A peine fut-il entré qu'il dit tout en haletant, et avec un transport merveilleux, qu'il avait été à la plus belle comédie qui se pût jamais voir ; et qu'il y avait tant de monde, qu'on ne pouvait entrer à la porte. Il dit même qu'il avait trouvé là des imprimeurs et des gens qui travaillaient à la presse. On n'entendit pas d'abord ce quolibet. Mais il l'expliqua en disant que c'étaient des coupeurs de bourses qui avaient pris une montre à un homme dans cette grande foule. Laurence lui demanda quelle pièce on avait jouée. Il lui répondit :
– Attendez, je vais vous le dire. Voici le fait. Un particulier nommé Cinna s'avise de vouloir tuer l'empereur. Il fait ligue offensive et défensive avec un autre appelé Maxime. Mais il arrive qu'un certain quidam va découvrir le pot aux roses. Il y a là une demoiselle qui est cause de toute cette manigance et qui dit les plus belles pointes du monde. On y voit l'empereur assis dans un fauteuil devant qui ces deux petits messieurs font de beaux plaidoyers, où il y a de bons arguments ;et la pièce est toute pleine d'accidents qui vous ravissent. Pour conclusion, l'empereur leur donne des lettres de rémission, et ils se trouvent à la fin camarades comme cochons. Tout ce que j'y trouve à redire, c'est qu'il devrait y avoir cinq ou six couplets de vers, comme j'ai vu dans Le Cid, car c'est le plus beau des pièces.
– C'est dommage, dit Laurence, qu'on ne vous donne pas la commission de faire des prologues, car vous réussiriez merveilleusement à expliquer le sujet d'une tragédie.
Extrait signalé par Marie Capel
Roman en ligne sur Gallica p. 196
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