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1670
[Anonyme], La Critique du Tartuffe
Paris: Quinet, 1670
Critique de la vraisemblance
Cette petite comédie rejoue sur le mode parodique le Tartuffe de Molière ;les personnages critiquent le manque de vraisemblance des caractères de la pièce tout en reprenant des vers bien connus:
CLEON.
Hé, que diriez-vous donc de notre auteur du temps ?
TARTUFFE.
Qu’il ravale la scène au gré des ignorants.
Son esprit est si haut branché dans ce qu’il pense
Qu’il ne descend jamais jusqu’à la vraisemblance.
CLEON.
Le pauvre homme !
TARTUFFE.
L’exemple en est clair en Orgon,
Ce Tartuffe à tel point aveuglant la raison,
Que sans examiner si c’est lui qui l’abuse,
Il lui donne ses biens dans le temps qu’on l’accuse,
Et par un sot dépit, viole en même temps,
Le sang, l’amour, l’honneur et la loi des parents.
Quoi, ne devait-il pas, dans cette conjoncture,
Autant que d’arracher son cœur à la nature,
Approfondir du moins, le voyant accusé,
Si ce crime en effet n’était que supposé ?
Licidas ne prend point de pareille licence.
L’on voit dans ses sujets briller la vraisemblance,
Et sur tout son esprit, dans tous ses dénouements,
D’émettre avec tant d’art, ses divers incidents,
Qu’ayant mis en suspens, par d’adroits artifices,
Qui le doit emporter des vertus ou des vices,
Au gré de l’auditeur, les vices abattus,
Réchauffent le triomphe et l’éclat des vertus.
CLEON.
Et l’autre auteur ?
TARTUFFE.
Pour l’autre, il met tout en usage,
C’est pour lui de l’hébreu, que finit un ouvrage.
Dans son invention son esprit transporté,
L’injustice à ses yeux passe pour l’équité,
Ainsi souvent chez lui la vertu cède au vice.
Mais las, c’est par erreur plutôt que par malice.
CLEON.
Le pauvre homme !
TARTUFFE.
Tartuffe ici nous en fait foi,
En fidèle sujet il va trouver son roi,
Et l’instruit d’un secret qui le tire de sa peine :
Mais parce qu’il commence à nuire sur la scène,
Pour l’en faire sortir, cet auteur sans raison,
Fait commander au roi qu’on le mène en prison,
Et contre son devoir, quoi qu’Orgon ait su faire,
Et sachant ce secret, quoi qu’il ait su faire,
Qu’il ait blessé par là l’auguste majesté,
Il triomphe, bien loin d’en être inquiété.
Qu’importe à cet auteur d’élever l’injustice,
Pourvu qu’heureusement son poème finisse.
Qu’une telle action est bien digne de toi !
Mais ne connais-tu le cœur d’un si grand roi ?
Tu saurais que ce cœur illustre autant qu’auguste
N’a jamais démenti le beau titre de juste,
Que le noble transport de ses beaux mouvements
Ne confond point ses dons avec ses châtiments,
Que jamais la pitié ne séduit sa justice
Et qu’il ne punit point les hommes par caprice.
Comédie en ligne sur Gallica pp. 43-45
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