Une femelle entre deux beautés, assez bien faite mais un peu avancée dans l’âge et ne se sentant plus propre pour accommoder ses amis ni pour duper personne dans les lieux où elle était connue, s’était retirée en cette ville-là pour y jouer encore quelque tour de son métier. Dans cette vue, elle faisait la béate et se faisant distinguer des autres par sa tartufferie, elle n’eut pas de la peine à s’insinuer près d’un bon bourgeois de la ville d’une piété exemplaire, et le pria de vouloir être dépositaire d’un sac de doubles pistoles et quadruples d’or qu’elle disait avoir, le lui porta, l’ouvrit et en tira une vingtaine pour les compter. Le bon homme, voyant sa bonne foi, comme il lui semblait, l’arrêta là-dessus et lui dit qu’elle n’avait que faire de compter, qu’elle serrât son sac et y mit son cachet, ce qu’elle fit. Et comme il paraissait y avoir plus de 50000 livres en or, le bon homme lui donna crédit chez les marchands. Elle se mit en équipage et sur le bon pied et faisant assez belle figure, comme on sut qu’elle avait du comptant, un jeune homme d’une des familles les plus considérables de la ville lui conta des douceurs. Elle y répondit favorablement et lui accorda la recherche qu’il faisait de l’épouser. Les parents du jeune homme, éblouis de cet or, y consentaient, mais voulant savoir d’où la belle était venue et ayant appris que sa naissance était un peu obscure, la mort de son père ignominieuse et sa vie passée des plus galantes, ils n’ont pas voulu introduire une telle tache dans leur maison. Le bruit s’en étant répandu par toute la ville et les marchands qui avaient fourni à la belle voulant être payés, elle s’est évadée, le dépositaire de son or a été obligé de payer, a fait ouverture du sac et n’y a trouvé que des pièces de cuivre et de plomb, la rusée ayant pris celles d’or qui les couvraient lorsqu’elle le cacheta.