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1670
Charles Robinet, Lettres en vers
Paris, Chénault, 1670.
Tite et Bérénice et Le Bourgeois gentilhomme
La lettre du 22 novembre 1670 de Robinet fait un important compte-rendu de la lecture publique de la pièce à venir de Corneille, Tite et Bérénice. Le 29 novembre, il fera cette fois-ci le compte-rendu de la représentation.
Grand Prince, je fais conscience,
De vous demander audience,
En faveur de mes impromptus,
Sans flamme, brillant, ni vertu,
Lorsque encor, vous aurez l’oreille
Pleine des beaux vers de Corneille :
De ces vers enthousiasmants,
Elevés, pompeux, et charmants,
Dont, dimanche, il vous fit lecture ;
Où je fus, par bonne aventure,
Du nombre de maints auditeurs
Qui furent ses admirateurs,
Avec votre Altesse Royale,
Qui goûta ce charmant régale,
Mieux qu’on ne goûte, dans les cieux,
Le ravissant nectar des dieux.
Tous les discours vont être fades,
Au prix de ces rares tirades,
Dont, à tous coups, à tous instants,
Il enlevait les écoutants,
Au prix, dis-je, de ces saillies
De son plus beau feu rejaillies,
De ces rapides mouvements,
De ces fins et grands sentiments,
Et, bref, de tous ces traits de maître,
Qu’il fait, divinement, paraître
En son poème merveilleux,
Et je dirais miraculeux,
Sur qui, sans fin, se récrièrent,
Les délicats qui l’écoutèrent,
Disant, dans leur étonnement,
Et leur juste ravissement,
C’est Corneille, le grand Corneille,
Ainsi que jadis, par merveille,
On disait, c’est Lope, à Madrid,
Selon que l’histoire l’écrit,
Lorsqu’on oyait sur le théâtre,
Ses vers qu’encore on idolâtre.
Sans rien, aussi, dire en flatteur,
Jamais notre excellent auteur
Ne chaussa mieux le grand cothurne,
Et j’en puis jurer, par Saturne,
Qu’en ce dernier ouvrage-ci,
Où, loin de paraître transi
Par un âge septuagénaire,
Dans lequel l’esprit dégénère,
Avec le feu même il écrit
Que lorsqu’il composa son Cid.
Cette comtesse qui compose,
Tant en beaux vers qu’en belle prose,
Savoir l’illustre de Brégy,
Confirmerait ce que je dis,
Elle qui, lors de l’auditoire,
En Muse brillante de gloire,
Et d’esprit si judicieux,
Marquait les beaux endroits des mieux.
Mais quoiqu’après ce bel ouvrage,
Encore un coup, notre ramage
Doive sembler grandement plat,
Et sans le moindre brin d’éclat,
Quoiqu’il doive passer pour rude,
Je vais en cessant le prélude,
Pourtant, vous dire, en icelui,
Et malgré, même, quelque ennui,
Tout ce que je sais de nouvelles,
Des plus fraîches et des plus belles.
La première, en forme d'avis,
Dont maints et maints seront ravis,
Est que ce poème de Corneille
Sa Bérénice non pareille
Se donnera, pour le certain,
Le jour de vendredi prochain,
Sur le théâtre de Molière
Et que, par grâce singulière,
Mardi, l'on y donne au public
De bout en bout et ric à ric,
Son charmant Bourgeois gentilhomme
C'est-à-dire, presque tout comme
A Chambord et dans Saint-Germain,
L'a vu notre grand Souverain,
Mêmes avecque des entrées
De ballet, des mieux préparées,
D'harmonieux et grands concerts,
Et tous les ornements divers
Qui firent de ce gai régale
La petite oie, à la royale.
J'ajoute encor brièvement
Qu'on doit, alternativement,
Jouer la grande Bérénice,
Qu'on loue avec tant de justice,
Et le Gentilhomme bourgeois
L'on pourra, donc, comme je crois,
Beaucoup, ainsi, se satisfaire.
Mais parlons de quelque autre affaire.
[29 novembre]
Sans cela, par un beau souci,
J'eusse été dès hier, aussi,
Voir le chef d'œuvre de Corneille,
Lequel parut une merveille,
A la foule qui se trouva,
A ce divin poème-là,
Que Bérénice l'on appelle,
D'un bout à l'autre toute belle,
Et qu'enfin la troupe du Roi,
Joue à miracle, en bonne foi,
Se signalant dans l'héroïque,
Aussi bien que dans le comique.
Au grand Théâtre de l'Hôtel,
Ce m'a dit un sage mortel,
Une autre Bérénice on joue,
Que de grande tendresse on loue.
Mais n'ayant été l'auditeur,
Ni peu, ni prou, le spectateur
De ce poème dramatique,
Point d'en parler je ne me pique,
Et je dirai, tout simplement,
Sans que je flatte nullement,
Que la belle Troupe Royale,
En cette occasion, étale
Grâce, richesse, pompe, éclat,
Et d'y bien faire un soin exact.
Chacun me le jure, et proteste
Et puis, je sais cela de reste.
Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.
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