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1668
Charles Robinet, Lettres en vers
Paris, Chénault, 1668.
Le nouveau Scaramouche et Le Régal des dames
Dans ses lettres du 21 avril et du 6 mai, Robinet consacre un nombre important de vers à la découverte du nouveau Scaramouche et au nouveau spectacle des Italiens intitulé Le Régal des dames.
Mais concluons cette préface
Et chantons d'abord sur notre luth
Le nouveau Scaramouche et sa burlesque face.
Certes, pour les premières fois
Qu’il nous a montré son minois,
Il n’a pas mal joué son rôle,
Et, ma foi, je le trouve drôle.
Je ne sentis, en vérité,
Jamais mon risible excité
Mieux que par ses plaisanteries
Et ses naïves singeries.
Bien loin d’avoir le bec gelé,
Il a le caquet affilé,
Comme frais passé sur la meule,
Et, bref, sa langue, toute seule,
En dévide autant comme six,
Et l’on peut dire autant que dix.
Au reste, hors un peu moins de taille,
C’est une vivante médaille
De son fameux prédecesseur,
Dont il vient être successeur.
C’est lui tout craché, de figure,
De geste, d’air et d’encolure ;
Il me semble que je le vois :
Il a jusqu’à son ton de voix
Et son beau ratelier d’ivoire.
Qu’on ne dise point : « c’est mon, voire »
Car votre Altesse, qui l’a vu
Et, comme moi-même, entendu,
Sait si de faux ici je couche
Touchant ledit beau Scaramouche.
Non, non, j’aurais encor, du moins,
Plus de douze mille témoins
De tout ce que je viens de dire,
Et qu’il a pleinement faite rire.
Voilà donc des Italiens,
De ces facétieux chrétiens,
Désormais la troupe parfaite
Et, veramente, très complète.
Oui, tous les acteurs sans égaux
Sont tous autant d’originaux,
Et plus que jamais je puis dire
Que, si l’on veut crever de rire
Et se purger de tous chagrins,
Sans le secours des médecins
Et sans séné, rhubarbe et casse,
Qui font faire laide grimace,
On n’a qu’à se rendre chez eux,
En foule, pour une heure ou deux.
[6 mai]
La gaie troupe ausonienne,
Autrement troupe italienne,
Qui s’acquiert chez nous grand crédit,
Et la chose est sans contredit,
Nous a fait voir dessus la scène,
Déjà trois fois cette semaine,
Une admirable nouveauté,
Ou bien un spectacle enchanté,
Qui, surpassant tous les spectacles,
Est rempli de petits miracles
Par plusieurs rares changements,
On y voit des éloignements,
Des campagnes, des paysages,
Des bois, des jardins, des bocages ;
Et la Foire de Saint-Germain
S’y battit en un tournemain.
Arlequin, qui dans cette pièce
Signale fort sa gentillesse
Et vient de tout à son honneur,
Soit-il marquis ou ramoneur,
Y fait, en se donnant carrière,
Cent jolis tours de gibecière,
Et de gobelets notamment,
Qui surprennent à tout moment.
Chaque tour est une merveille
Qui paraît à tous nonpareille.
On en voit naître des oiseaux,
Des chiens et d’autres animaux,
Voire deux petits Scaramouches,
Qui semblent d’aussi fines mouches
Que Monsieur leur grand général,
Qui passe pour original.
Bref, par ces tours de passe-passe,
Que Arlequin fait avec grâce,
N’oubliant pas dans son dessein
La poudre de perlin-pin-pin,
De vertu, certes, sans égale,
On voit paraître un grand régale,
Pour rafraîchir l’amoureux bec
De cent beautés qui vont illec.
Or ce sont d’exquises pâtures
Et de fruits et de confitures,
Dans des corbeilles mêmement
Dont mille fleurs font l’ornement,
Avec la fraîche limonade,
En de beaux vases de parade :
Le tout accompagné de vers
Dont pas un ne va de travers,
Où l’on invite chaque belle,
Dedans cette saison nouvelle,
À faire valoir sur les coeurs
Ses appas finets et vainqueurs.
Après cela, par l’énergie
Où la force de la magie,
Plus blanche que noire pourtant,
Cet Arlequin, en s’ébattant,
Fait, du milieu de sa machine,
Sortir un jet d’eau crystaline,
Aussi fort, aussi haut et beau
Qu’il s’en voie en aucun rondeau,
Avecque des nappes liquides
Qui, dedans leurs chutes rapides,
Par le bel effet des clartés,
De quoi les yeux sont enchantés,
Semblent des lumières fondues,
Dans cette claire eau confondues.
Mais nous ne sommes pas au bout
Et ce n’est pas encor là tout.
Par de nouvelles gentillesses
Et divertissantes souplesses,
On voit deux guéridons danser,
Que l’on fait ensuite passer
(Et Scaramouche, pêle-mêle,
Quoiqu’il n’ait pas le corps fort
Par un sac qui rien ne retient,
Sans savoir ce que tout devient).
D’ailleurs, les hauts-bois, les musettes,
Les violons, les castagnettes
Forment de ravissants concerts ;
Et l’on y chante, entre autres airs,
Certaine chansonnette à boire
Que j’inculquais dans ma mémoire,
La sachant d’un célèbre auteur,
En musique passé docteur,
Et, sans dire des fariboles,
Hommes aussi de belles paroles.
Au reste Octave et Cintio,
Qui rime bien avecque Yo,
Comme on sait, la fille d’Inache
Qui fut jadis changée en vache,
Et l’agréable Trivelin
Font là des merveilles tout plein,
Ainsi que leurs belles actrices,
Unissant tous leurs artifices,
Qui, ma foi, sont archi-plaisants
Et pleinement divertissants,
Pour duper leur franc Scaramouche,
Qui souffre illec mainte escarmouche,
Mais faisant son rôle si bien
Qu’on n’y saurait ajouter rien.
Enfin, un certain petit drôle
(Et croyez-m’en sur ma parole),
Que l’on dirait, mais tout de bon,
De Scaramouche un rejeton,
Qui n’est pas plus haut qu’une pinte
Et semble une figure peinte,
Danse par règle et par compas,
Et tourne son corps et ses pas
En tant de manières diverses
Que, d’ici jusques chez les Perses,
Il n’est un petit baladin,
Ni si joli, ni si poupin.
Jugez donc combien de merveilles,
Pour les yeux et pour les oreilles,
Sont dans ce divertissement,
Et si galant et si charmant,
Et ce que nous devons d’estime
Au brave Monsieur Anonyme,
Qu’on dit être de qualité,
Qui l’a dignement inventé,
Et même, par magnificence,
A fait la première dépense
En faveur du sexe charmant,
Qui doit l’en aimer tendrement ;
C’est de quoi je le sollicite,
Car, en un mot, il le mérite.
Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.
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