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1667
Charles Robinet, Lettres en vers
Paris, Chénault, 1667.
Création d'Andromaque
Dans ses lettres du 19 et du 26 novembre, Robinet annonce l'Andromaque de Racine, puis en fait le compte-rendu et procure au passage un résumé de la pièce.
La cour, qui selon ses désirs,
Tous les jours change de plaisirs,
Vit, jeudi, certain dramatique [Andromaque]
Poème, tragique et non comique,
Dont on dit que beaux sont les vers
Et tous les incidents divers,
Et que cette oeuvre de Racine,
Maint autre rare auteur chagrine.
Quoi qu’il en soit, c’est un point sûr,
Et je ne dirai rien d’absur [sic.]
En disant ce que je vais dire,
Qu’en cette pièce l’on admire
La belle troupe de l’Hôtel,
Car on sait que son sort est tel,
Et c’est là la voix des oracles,
Qu’elle fait toujours des miracles.
Mais cette pièce je verrai,
Et puis, à mon tour, j’en dirai,
Autant de bond que de volée,
Comme un autre, ma ratelée.
[26 novembre]
J’ai vu la Pièce, toute neuve,
D'Andromaque, d’Hector la Veuve,
Qui, maint siècle après son trépas,
Se remontre pleine d’appas,
Sous le visage d’une actrice,
Des humains grande tentatrice,
Et qui, dans un deuil très pompeux,
Par sa voix, son geste et ses yeux,
Remplit, j’en donne ma parole,
Admirablement bien son rôle.
C’est Mademoiselle du PARC,
Par qui le petit dieu porte-arc,
Qui lui sert de fidèle escorte,
Fait des siennes d’étrange sorte.
PYRRHUS la retient dans sa cour,
Captive de guerre et d’amour,
Depuis le désastre de Troie,
Où ce vainqueur en fit sa proie,
Comme d’Astyanax, son fils,
Reste des Troyens déconfits ;
Et ce Prince, qui la veuve aime,
Sans qu’il en soit aimé de même,
Est en relief représenté
Par cet acteur si fort vanté,
Qui souffre peu de parallèle,
Et lequel FLORIDOR s’appelle.
ORESTE, pire qu’un Fairfax,
Vient demander Astyanax
De la part du peuple de Grèce,
Qui veut, sans aucune tendresse,
Et par un transport tout brutal,
Immoler cet enfant royal ;
Et cet Oreste frénétique,
Là personnage épisodique,
Est figuré par MONTFLEURY,
Qui fait mieux que feu Mondory.
D’autre part, certaine Hermione,
Autre épisodique personne,
Se trouve en la cour de Pyrrhus,
Qu’elle aime jusques aux rebuts ;
Et, pour vous dire tout le reste,
Il arrive que cet Oreste,
Qui couvait pour elle en son sein
Une amour de très longue main,
À son aspect, sent dans son âme
Rallumer son ardente flamme,
Mais sans que la belle, en son cœur,
Ressente une pareille ardeur.
Pourtant, elle feint, par adresse,
De prendre un peu de sa tendresse,
Et même lui promet sa main,
Pour engager cet inhumain
D’immoler Pyrrhus à sa rage,
Voulant se venger de l’outrage
Qu’elle reçoit du susdit roi,
Lequel, lui promettant sa foi,
À dessein de se railler d’elle,
Par une niche trop cruelle,
Épouse la veuve d’Hector.
Ainsi, Pyrrhus est mis à mort
Par l’ordre de cette Hermione,
Qu’on voit agir en la Personne
De l’excellente DES ŒILLETS,
Qui pousse, je vous le promets,
Ce rôle de telle manière
Qu’elle en a gloire très plénière.
La catastrophe, la voici :
Pyrrhus étant occis ainsi,
Oreste, pensant qu’Hermione
Pour digne prix elle se donne,
N’en reçoit rien que des gros mots ;
Après quoi, lui tournant le dos,
Elle va, d’une rage extrême,
Aussi s’immoler elle-même ;
Et lors, Oreste, furieux,
Attaquant la terre et les cieux,
Fait ce qu’on voit, dans Marianne,
Que fait cet Hérode profane,
Après qu’il a fait sans pitié
Périr son illustre moitié.
En un mot, la pièce est jouée
(C’est chose de tous avouée),
Certe, à charmer le spectateur,
Ainsi que son heureux auteur,
Bien glorieux, on le peut dire,
D’avoir pu ce poème produire,
Car, sans le flatter nullement
On ne peut voir assurément,
Ou du moins je me l’imagine,
De plus beaux fruits d’une Racine. [C’est le nom de l’auteur.]
Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.
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