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1666
Charles Robinet ; Adrien Perdou de Subligny, La Muse dauphine / Lettres en vers
Paris, Muguet, 1666 et Paris, Lesselin, 1666.
Création du Misanthrope
Les 12 et 17 juin, Robinet et Subligny font tous deux un compte-rendu de la création du Misanthrope.
[Robinet]
Le Misanthrope enfin se joue ; 
Je le vis dimanche, et j’avoue 
Que de Molière, son auteur, 
N’a rien fait de cette hauteur. 
Les expressions en sont belles, 
Et vigoureuses et nouvelles, 
Le plaisant et le sérieux 
Y sont assaisonnés des mieux, 
Et ce misanthrope est si sage 
En frondant les mœurs de notre âge 
Que l’on dirait, benoît lecteur, 
Qu’on entend un prédicateur. 
Aucune morale chrétienne 
N’est plus louable que la sienne, 
Et l’on connaît évidemment 
Que dans son noble emportement 
Le vice est l’objet de sa haine 
Et nullement la race humaine, 
Comme elle était à ce Timon 
Dont l’histoire a gardé le nom 
Comme d’un monstre de nature. 
Chacun voit donc là sa peinture, 
Mais de qui tous les traits censeurs, 
Le rendant confus de ses mœurs, 
Le piquent de la belle envie 
De mener toute une autre vie. 
Au reste, chacun des acteurs 
Charme et ravit les spectateurs, 
Et l’on y peut voir les trois Grâces 
Menant les Amours sur leurs traces, 
Sous le visage et les attraits 
De trois objets jeunes et frais : 
Molière, du Parc et de Brie ; 
Allez voir si c’est menterie.  
[Subligny]
Pour changer un peu de discours, 
Une chose de fort grand cours 
Et de beauté très singulière 
Est une pièce de Molière. 
Toute la cour en dit du bien : 
Après son Misanthrope il ne faut plus voir rien, 
C’est un chef-d’œuvre inimitable. 
Mais moi, bien loin de l’estimer, 
Je soutiens, pour le mieux blâmer, 
Qu’il est fait en dépit du diable. 
Ce n’est pas que les vers n’en soient ingénieux : 
Ils sont les plus charmants du monde, 
Leur tour, leur force est sans seconde, 
Et ce serait fin qui ferait mieux ; 
Mais je prouve ainsi ma censure : 
Il peint si bien tous les péchés 
Que le diable fait faire à toute la nature 
Que ceux qui s’en croiront tachés 
Les haïront sur sa peinture, 
Et qu’ainsi les diables, à cru, 
N’y gagneront plus un fétu. 
Il daube encor si fort le marquis ridicule 
Que de l’être on fera scrupule, 
Et ce n’est pas un petit tort 
Que cela ferait à nos princes, 
Qui de ces marquis de provinces 
Parfois se divertissent fort. 
Cela me fait dire en colère 
Ce qu’autrefois j’ai déjà dit : 
Qu’on devrait défendre à Molière 
D’avoir désormais tant d’esprit.
Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.
Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »
	
			
		

