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1664
Jean Loret, La Muse historique
Paris, Chénault, [1656-1665].
Création parisienne de la Princesse d'Élide et d'Othon
Dans sa lettre du 8 novembre 1664, Loret annonce la création à Paris, à l'occasion de la visite du légat, de La Princesse d'Élide de Molière et d'Othon de Corneille :
Il faut ici, donc, que j’avoue
Qu’à l’Hôtel de Bourgogne on joue,
Depuis un jour ou deux, dit-on,
Un sujet que l’on nomme Othon,
Sujet romain, sujet sublime,
Et digne d’éternelle estime.
Jamais de plus hauts sentiments,
Ni de plus rares ornements,
Pièce ne fut si bien pourvue ;
Je ne l’ai point encore vue,
Et je ne suis que le rapport
Que m’en fit hier maint esprit fort,
Qui dit qu’elle est incomparable,
Et que sa conduite admirable,
Dans Fontainebleau, l’autre jour,
Charma tous les Grands de la cour.
Mais d’où lui naît cet avantage ?
Et d’où vient que de cet ouvrage
Tout le monde est admirateur ?
C’est que Corneille en est auteur,
Cet inimitable génie
Et que l’illustre compagnie,
Ou Troupe Royale, autrement,
Qui la récite excellement,
Lui donne toute l’efficace,
Tout l’éclat et toute la grâce
Qu’on doit prétendre, en bonne foi,
Des Grands Comédiens du Roi.
De Monsieur la troupe comique,
Qui sait aussi mettre en pratique
Cet art moralement plaisant,
Qui nous charme en nous instruisant,
En public, mêmement, expose
(Partie en vers, partie en prose)
Un poème si bien tourné,
Et de tant d’agréments orné,
Que, certes, si je ne me trompe,
Chacun doit admirer sa pompe,
Ses grâces, ses naïvetés,
Et ses rares diversités.
J’en puis rendre ce témoignage,
Grâce aux dieux, je vis cet ouvrage,
Ouvrage fin et délicat,
Dont Monsieur l’éminent légat
Eut dans une superbe salle
A Fontainebleau le régale.
Il la vit attentivement,
Il y prit grand contentement
Et malgré son humeur hautaine,
Quittant la gravité romaine,
Il rit fort aux endroits plaisants,
Aussi bien que nos courtisans.
Cette pièce si singulière
Est de la façon de Molière,
Dont l’esprit doublement docteur,
Est aussi bien auteur qu’acteur,
Et que l’on tient par excellence
De son temps le Plaute, ou Térence.
La pièce dont je parle ici,
Laquelle a si bien réussi,
Est un sujet noble et splendide,
Et c’est La Princesse d’Élide
Qu’elle se nomme proprement,
Vous assurant avec serment,
Que l’actrice au joli visage, [Mademoiselle de Molière.]
Qui joue icelui personnage,
Le représente, au gré de tous,
D’un air si charmant et si doux,
Que la feue aimable Baronne,
Actrice si belle et si bonne,
Et qui plaisait tant à nos yeux,
Jadis, ne l’aurait pas fait mieux.
Avec raison, donc, je puis dire
Que la troupe de notre Sire
Et celle du Palais-Royal,
Ne nous divertiront pas mal
Durant environ deux semaines
Puisqu’on verra dessus leurs scènes
Paraître deux sujets si beaux,
Si bien joués et si nouveaux.
Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.
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