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ca. 1666

Antoine de Brunel, Relation de l'Etat d'Espagne

Cologne, Pierre Marteau, 1666.

La comédie, son public, ses juges

Cette relation (dont l'auctorialité est, pour le moins, floue) présente un discours sur la comédie et particulièrement sur son public, qui se rapproche de ce que Donneau de Visé dit quelques années plus tôt dans le tome III de ses Nouvelles Nouvelles et dans sa Zélinde (le fait, notamment, que ce sont les bourgeois et artisans qui sont les vrais juges de celle-ci).

Tout le divertissement de Madrid est le cours et la comédie. […] Pour la comédie, il [y] a des troupes de comédiens quasi dans toutes les villes, et meilleurs à proportion que les nôtres. Il n’y en a point de gagés du roi. Ils représentent dans une cour où il y a beaucoup de maisons qui y donnent, de façon que les fenêtres des logis qu’ils appellent rejas, à cause qu’à la plupart il y a des grilles, ne sont point à eux, mais aux propriétaires. Ils représentent au jour et sans flambeaux, et leur théâtre n’a pas de si belles décorations que les nôtres, hormis dans El buen retiro où il y a trois ou quatre salles différentes, mais ils ont des amphithéâtres et le parterre. Il y a deux lieux, ou salles, qu’ils appellent corrales à Madrid, qui sont toujours pleines de tous les marchands et artisans qui, quittant leurs boutiques, s’en vont là avec la cape, l’épée et le poignard, qui s’appellent tous caballeros jusques aux zapateros et ce sont ceux-là qui décident si la comédie est bonne ou non. À cause qu’ils la sifflent ou qu’ils l’applaudissent, qu’ils sont d’un côté et d’autre en rang, et que c’est comme une espèce de salve, on les appelle mosqueteros et la bonne fortune des auteurs dépend d’eux. On m’a conté d’un qui alla trouver un de ces mosqueteros et lui offrit cent reales pour être favorables à sa pièce. Mais il répondit fièrement que l’on verrait si la pièce serait bonne ou non, et elle fut sifflée. Il y en a qui ont leur place auprès du théâtre, qu’ils gardent de père en fils comme un mayorazgo qui ne se peut vendre ni engager, tant ils ont de passion pour cela. Les femmes sont toutes ensemble dans l’amphithéâtre à un bout séparé des autres et où les hommes ne sauraient aller.

Relation disponible sur Google Books, p. 59-60.


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