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ca. 1694
Edme Boursault ; Raisin, Lettres nouvelles de M. Boursault
Paris, Gosselin, 1699.
Lecture publique
Parmi les lettres de Boursault, on trouve cet échange où un ami de l'auteur lui propose de faire une lecture public de son Phaéton :
Je dois ce soir, moi indigne, souper avec Messieurs de Vandôme, de la Farre, l'abbé de Chaulieu et quelques autres de ce mérite ou approchant, à qui j'ai dit que le vôtre ne paraissait petit qu'à ceux qui ne le connaissaient pas. Je leur ai soutenu que Molière, dont les ouvrages ont tant de réputation et si justement, ne faisait pas mieux des vers que vous et je me suis offert à les en faire convenir s'ils voulaient avoir autant d'équité qu'ils ont d'esprit. À vous dire vrai, je crois m'être un peu trop avancé, mais cela vous regarde plus que moi et, si je ne sors pas de cette affaire à mon honneur, ce sera encore moins au vôtre. Aidez-moi, je vous prie, à me faire tenir la parole qui m'est échappée et ne manquez pas toute chose cessante de m'envoyer la scène que Momus et Phaéton font ensemble, où j'ai trouvé d'aussi beaux vers qu'on en puisse faire sans en excepter qui que ce soit. Je l'étudierai avec tant de soin et la réciterai avec tant de feu que je me trompe fort si je ne la leur fais trouver bonne. Surtout, un peu plus de diligence que vous n'avez coutume d'en avoir. Je n'ai pas trop de temps pour la besogne que j'ai à faire et pour peu que nous fuyions je vous laisse à penser de qui l'on se moquera le plus. Ne perdez pas un moment à me donner la satisfaction que j'attends de vous et je me flatte que vous en recevrez de moi une entière. Je vous donne le bon jour.
RAISIN.
Réponse de l'auteur à Monsieur Raisin.
À quoi, diable, vous êtes-vous engagé et que pouviez-vous faire de pis contre moi que d'exposer mes vers à une critique si délicate ? Je sais bien qu'il n'y a point d'approbation plus glorieuse, et que le plus grand honneur que je pusse avoir serait de la mériter, mais vous me parlez de gens trop accoutumés à voir de belles choses pour en applaudir de médiocres et, quelque dessein que vous ayez eu quand vous avez dit que Molière ne faisait pas mieux des vers que moi, c'est une hérésie dont je serais au désespoir d'être soupçonné. Je vais transcrire la scène que vous me demandez, non dans la pensée de lutter avec un aussi habile homme que celui avec qui vous avez eu l'imprudence de me comparer : il y a trop d'inégalité de mes forces aux siennes et le chemin qu'il a pris pour aller à la gloire y conduit si droit que je me contenterais de l'y suivre de bien loin. Quant au reste, démêlez-vous en comme vous pourrez. Comme je n'ai point de part à l'entreprise, je consens à n'en point avoir au succès, persuadé que, si vous réussissez, il y aura plus de votre mérite que du mien et que ce ne sera pas la première méchante chose que vous ayez fait valoir. Je m'impose silence pour écrire ce que vous me demandez :
[Ici, la scène du Phaéton de Boursault entre le protagoniste et Momus]
Vous devez, je crois, être satisfait de ma diligence. Il était huit heures lorsque j'ai reçu votre billet et il n'en sera pas dix quand vous recevrez ma réponse. J'ai bien peur que nous n'ayons été trop vite l'un et l'autre et que nous n'en soyons contents ni vous ni moi. L'enjouement où vous êtes de cette scène vous persuade que tout le monde y doit prendre autant de plaisir que vous et vous ne faites pas réflexion que l'amitié que vous avez pour moi vous y fait trouver des beautés que ceux à qui je suis indifférent n'y trouveront pas. Je ne vous recommande point de bien faire, il y va plus de votre intérêt que du mien, et sans doute il vous serait honteux (après ce que vous avez avancé à des altesses, que des vers, qui vous ont paru bons dans ma bouche, fussent trouvés mauvais dans celle d'un comédien plus habile que feu Roscius). Je me trouverai demain au savoureux repas que votre gros et bon ami Dubois vous prépare, vous me direz le succès que vous aurez eu.
Correspondance disponible sur Gallica.
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