Savez-vous que pour réussir parfaitement dans le rôle que vous avez dessein de jouer, ce n'est pas assez de savoir donner de l'amour, et qu'il en faut prendre ? Il est malaisé de faire sentir à l'auditeur ce qu'on ne sent pas soi-même, et tout ce qu'on voit de grandes actrices exprimer si bien les passions qu'elles représentent ne s'en acquitteraient pas avec tant de succès si elles n'avaient véritablement de la tendresse :

Pour être une actrice touchante
Et rendre l'auditeur ému, tendre, agité,
Il faut que le rôle d'amante
Soit si tendrement récité,
Que l'action qu'on représente
Paraisse être la vérité.

C'est, belle Atalide, ce que Bajazet vous apprendra le mieux du monde si vous trouvez bon qu'il aille à Versailles concerter avec vous les scènes que vous devez jouer ensemble. Comme elles sont les plus belles et les plus intéressantes de la pièce, on ne peut apporter trop de soin à les bien savoir. Quoique, dans ce que j'ai vu de vous, tout me semble dans la dernière perfection, ce faux Bajazet fait si bien son personnage qu'on le prendrait pour le véritable. Et si vous voulez suivre ce qu'il vous dira, je ne doute point qu'il ne vous fasse ressembler à la véritable Atalide.

Vous ne pouvez choisir un plus tendre modèle,
Imitez la façon dont il récitera,
Pour la rendre plus naturelle
Il ne vous dira rien que ce qu'il sentira.

Dans l'indispensable nécessité où je me trouve de rester à Paris et de ne pouvoir profiter de l'honneur que j'ai déjà eu de vous faire répéter vôtre rôle, j'ai cru, belle Atalide, ne devoir confier ce soin qu'à un homme qui eût du zèle pour vous, de l'intérêt au succès de votre dessein et des lumières pour le faire réussir.