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1668
Michel de Pure, Idées des spectacles anciens et nouveaux
Pure, Idées des spectacles anciens et nouveaux , Paris, Brunet, 1668
Critique non poétique du théâtre
Dans ce traité sur les spectacles, l'abbé de Pure refuse de se placer d'un point de vue poétique et redonne toute sa place au spectacle en lui-même dans le livre second consacré aux spectacles nouveaux, au chapitre 2 sur la comédie.
Il ne s'agit pas ici des règles de l'art, de la conformité avec les Anciens, ou de la manière des Modernes. Sur ces chefs, je renvoie à M. l'Abbé d'Aubignac, à Monsieur de Corneille, à M. Mesnardière et à beaucoup d'autres ; ou même si vous voulez, aux dames, qui aujourd'hui décident du mérite de ces choses. Mon but n'est que d'exposer ici ce qui concerne le spectacle, et les matières d'un agrément sensible et vulgaire.
Il est quatre choses qui sont pour ainsi dire assurées de plaire généralement à tout le monde, ou à la plus grande partie, ou du moins à la meilleure. La première, est un fait de grande importance et de grand exemple, car des fois il attire les esprits et les engage. La seconde, une grande nouveauté. La troisième, une grande passion, et la quatrième, quelque chose d'applicable au siècle et aux gens qui y font principale figure. Ces sortes d'objets ont un don infaillible de plaire, sans aucun secours du bel esprit ou de l'art. Ce sont des substances théâtrales qui y subsistent parfois, et qui seules et sans autre agrément charment les sens et frappent l'imagination.
Nous ne redirons point ici les admirables effets des machines, et il vaut mieux toucher un autre point du spectacle qui n'est pas de moindre conséquence. C'est le choix des acteurs. Je suppose que la chose soit possible, et que l'ouvrage en vaille la peine. Il faudrait ramasser tous les bons et en faire une troupe, ou du moins pour ne pas trop innover les choses, il faudrait employer le plus qu'on pourrait les habiles comédiens d'une troupe et les charger de toutes les choses principales, sans toutefois s'y opiniâtrer jusqu'à les rendre ennuyeux. Mais un bon acteur fait toujours honneur au poète et plaisir au spectateur. Il serait aussi à souhaiter que toutes les comédiennes fussent jeunes et belles, et s'il se pouvait, toujours filles, ou du moins jamais grosses. Car outre que la fécondité de leur ventre coûte à la beauté de leur visage ou de leur taille, c'est un mal qui dure plus depuis qu'il a commencé qu'il ne tarde à revenir depuis qu'il a fini. Cependant la beauté et la jeunesse sont deux sources d'agrément qui ne tarissent point, et par où les choses les plus inutiles et les moins spirituelles ne laissent pas d'être agréables. Sans elles l'habileté, le mérite, la hardiesse, la mémoire et toutes ces parties ensemble, qui sont les principales et les essentielles de la profession, sont comme des forces désarmées, et des talents décrédités. La persuasion de l'esprit est aisée après la satisfaction des sens.
Mais ce qui est plus possible que tout, et qui est aussi important que le reste, c'est l'ordre qui est rare parmi les comédiens, et la sûreté qui manque dans les lieux de la comédie. À l'égard du premier, il serait à besoin de régler cette trop grande égalité qui règne parmi eux, et qui leur faire souvent préférer les mauvais avis aux meilleurs, qui fait naitre dans une troupe un orgueil intraitable, et des opiniâtretés séditieuses et mal fondées. Par là non seulement leur ignorance se découvre, leur brusquerie éclate, mais encore leur intérêt et le plaisir public en souffrent.
Pour le second, c'est une coupable timidité de n'oser pas faire comprendre au roi la conséquence des plaisirs interrompus, et de la sûreté publique violée. Ce nombre de spadassins qui s'y rendent de toutes parts, sans curiosité, sans connaissance, sans argent, n'est qu'un levain de querelles et d'insolences. Ces lieux consacrés aux beaux et honnêtes plaisirs doivent être sous une protection particulière du roi et de ses magistrats. Et loin d'y souffrir l'insolence des breteux, qui ne sont braves que parmi les bourgeois et les femmes, il faudrait empêcher absolument la liberté d'entrer avec des armes et sans argent. […] L'on éviterait deux inconvénients considérables […] le second serait que venant en moindre nombre, le bruit qu'ils font sans cesse en serait moins importun à ceux qui s'appliquent au spectacle et qui veulent écouter. Outre qu'y venant plus rarement ils seraient plus attentifs et tâcheraient de profiter à une visite pour épargner les frais d'une seconde.
Il y aurait pareillement à désirer quelque chose du côté des comédiens, qui même leur serait utile, et qui augmenterait beaucoup la multitude des spectateurs. Par exemple, de commencer de bonne heure la comédie ; en hiver à trois heures et demie, en été à quatre heures et demie. […] Mais la chose qui regarde immédiatement le succès ou l'embarras du spectacle, c'est de tenir les théâtres vides, et de n'y souffrir que les acteurs. Le monde qui s'y trouve ou qui survient tandis qu'on joue y fait des désordres et des confusions insupportables. Combien de fois sur ces morceaux de vers, Mais le voici, mais le voici, que nos auteurs par un misérable entêtement de leurs prétendues règles, ne manquent point d'employer pour lier leurs scènes, combien de fois dis-je, a-t-on pris un comédien et pour le personnage qu'on attendait, des hommes bien faits et bien mis qui entraient alors sur le théâtre et qui cherchaient des places après mêmes plusieurs scènes déjà exécutées ?
Il en est encore une qui mérite une sérieuse réforme, c'est de changer souvent de jeu, et de pièce ; car non seulement du côté des comédiens le métier s'oublie, la paresse bannit l'étude, et la mémoire s'affaiblit, mais le spectateur est furieusement ennuyé de voir durant deux mois une même chose, qui bien souvent est sans aucun mérite, et qui ne dure que par cabales de quelques sots ou de quelques coquettes, ou par l'opiniâtreté des comédiens. Même en quelque façon, l'honneur de l'État en pâtit. Car tel étranger, qui durant deux mois ne voit que la même chose sur un théâtre, se persuade que l'on n'a rien que cela à représenter et conclut, au préjudice de notre nation, la stérilité de ses beaux esprits et la misère de nos acteurs. Je ne doute point que les comédiens même n'y trouvassent aussi mieux leur compte, si après huit ou dix représentations d'une pièce nouvelle, ils reprenaient leurs autres pièces à tour de rôle, sans en doubler le jeu, hors dans les occasions particulières, comme disposition de quelque camarade, ou pour satisfaire au désir de quelque curieux et de quelque personne de qualité.
Mais après cela, je voudrais aussi qu'on eût un peu plus d'égard que l'on n'a à leurs intérêts, qu'on favorisât leur gain, c'est-à-dire leurs portes, qu'on les secourût de quelque chose de la part du public, pour les aider à soutenir avec plus de courage la dépense des habits, des décorations, et mille faux frais dont ils ne peuvent se dispenser et qui les ruinent et les consomment. Car de la manière dont nos théâtres vont, et selon la connaissance que j'en puis avoir, nos acteurs ne manquent ni de courage ni d'ambition pour faire valoir leurs comédies et pour plaire à leurs spectateurs. Mais leur générosité est encore plus à plaindre qu'à admirer, car hors de leur garde-robe qui n'est jamais vendue à peu près ce qu'elle coûte, il en est très peu qui puisse faire fonds de quelque chose pour subsister dans le repos, et pour passer la vieillesse sans besoin. Cependant outre la dépense et les avances qu'il leur faut faire nécessairement, il n'est aucun métier où le travail et la sujétion soient plus tyranniques, et ou la peine soit plus grande et moins considérée.
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