1670

François de La Mothe Le Vayer, Soliloques sceptiques

Défense des apartés

A l'orée de ses Soliloques sceptiques, La Mothe le Vayer compare les soliloques aux apartés de théâtre, dont il justifie l'intérêt et la vraisemblance.

Ne vous étonnez pas que je me serve du mot de Soliloques, peu connu dans notre langue ; il ne l'est guère davantage dans la latine, où Saint-Augustin l'a employé ; et tous ceux qui ont traduit ses œuvres en français n'ont pas fait difficulté de le retenir ; c'est un entretien secret avec soi-même, qui répond aucunement aux apartés si fréquents sur le Théâtre des Italiens, et que le nôtre, aussi bien que celui des Espagnols, et des Anglais, n'ont pas rejeté. Je sais bien qu'on les a condamnés comme ridicules, vu le peu d'apparence qui se trouve à présupposer qu'un acteur puisse prononcer tout bas, sans être entendu de celui qui n'est qu'à deux pas de lui, ce que tout les auditeurs du parterre, pour éloignés qu'ils soient, doivent entendre. Mais puisque tout ce que les théâtres des Grecs, et des Latins, ont représenté, aussi bien que les nôtres par imitation, n'est que fable, et une pure imposition ou mensonge ; pourquoi n'admettra-t-on pas une chose de si peu de conséquence, à cause qu'elle n'est pas vraisemblable ? On oblige bien les spectateurs à prendre un château de cartes pour l'Acrocorinthe, ou quelque autre forteresse semblable ; et un petit coin du lieu où se joue la comédie, pour tout le pays attique. Pourquoi, encore un coup, feraient-ils difficulté de se laisser tromper par un aparté, prononcé d'une voix contrainte, comme l'on fait, nonobstant que cela choque les sens, de la façon que nous l'avons remarqué. En vérité l'apparence est moindre, et le raisonnement se trouve beaucoup plus offensé aux premières tromperies, et autres pareilles dont le théâtre est continuellement rempli, qu'aux apartés qui sont rares, et qui ne durent qu'un moment. J'ai assez d'années pour écrire qu'autrefois ces façons de parler étaient en usage J'ai dit à part moi et Il a dit à part soi, dont on ne se sert plus, qui répondent aux apartés des Italiens.

Paris, T. Jolly, 1670, N.P (3-7)


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