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1632
Jean-Pierre Camus, Les Leçons exemplaires
Paris : R. Bertault, 1632
Deux conceptions différentes du théâtre (Italie & France vs Espagne)
Camus déplore que les Italiens et à leur suite les Français n’hésitent pas à verser dans l’excès et, par là, corrompent les spectateurs. Les Espagnols en revanche incarnent l’attitude opposée puisque leur théâtre est pieux et décent.
Ce n’est pas sans raison qu’en Italie, en France et presque partout les historiens ou comédiens sont tenus pour infâmes : les lois mêmes les déclarent tels pour plusieurs raisons que chacun sait. Et à dire vrai, les comédies italiennes sont remplies de tant de licences déshonnêtes qu’elles passent du style comique fait pour délecter, pour enseigner et pour corriger par la répréhension et la moquerie les mauvaises mœurs dans celui de la raillerie, de la bouffonnerie, de l’impudicité et de l’imprudence. Et ces farces exécrables dont en France on fait un dessert de ciguë aux représentations tragiques et sérieuses mériteraient sans doute une sévère punition du magistrat, parce que les mauvais propos et abominables que l’on y tient ne corrompent pas seulement les bonnes mœurs et n’apprennent pas seulement au peuple des mots de gueule, des traits de gausseries et des quolibets sales et déshonnêtes, mais le portent à l’imitation des friponneries et sottises qu’il voit représenter et qui par ses yeux (lesquels sont plus vifs que l’ouïe) passent dedans son cœur. En Espagne, comme le naturel est plus grave, les représentants qu’ils appellent y sont plus modestes et plus sérieux, et outre qu’ils ignorent ce que c’est que [la] farce, ils ne représentent pour l’ordinaire que des histoires véritables ou des feintes qui approchent de la vérité, comme l’on peut voir par tant de riches pièces que Lope de Vega Carpio, le plus fertile et le plus estimé de tous les esprits espagnols, a données au public. Et davantage le magistrat a tellement l’œil à ces ébats que ceux qui disent ou font des actions qui offensent la pudeur ou les bonnes mœurs sont sévèrement châtiés, encore que par joyeuseté il y ait toujours quelque personnage destiné à donner du plaisir et à faire rire la compagnie soit par les pointes et les rencontres de ses mots, soit par ses grimaces, soit par ses sottises et badineries, mais toujours sans préjudice de l’honnêteté et de la modestie, si que les personnes de tout âge, de tout sexe, de toute condition y peuvent librement aller sans crainte de rencontrer aucun scandale. Au contraire, ils ont des pièces sacrées et saintes qu’ils représentent souvent au milieu des églises avec des danses et des musiques si graves et si modestes que la sainteté des lieux n’en reçoit aucune profanation. Si bien que comme les images des temples sont comme les livres des simples, aussi les représentations leur servent de lecture et leur apprennent diverses histoires tant saintes que séculières dont ils tirent beaucoup de lumière et d’instruction.
Extrait de la dixième Leçon, "La Comédienne convertie", disponible sur GoogleBooks, p. 463-5.
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