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ca. 1643
Jean-Louis Guez de Balzac, Les Entretiens de feu Monsieur de Balzac
Paris : A. Courbe, 1657.
Sur une pièce de Daniel Heinsius
Guez de Balzac éreinte la tragédie Herodes infanticida (publiée en 1632) du Néerlandais Daniel Heinsius, son ancien maître des années 1613-1615. Il pointe une matière trop peu unifiée et des références littéraires et religieuses mal accordées.
Trouvez bon, Monsieur, que je vous entretienne aujourd’hui de son procédé [celui de Heinsius] et que je vous justifie l’innocence du mien. Pour ne rien dire de pis de ce grand adversaire, il a mal pris ma bonne intention et n’a pas reçu mes civilités comme il devait. Je n’ai eu dessein que de lui donner matière de s’égayer : je lui ai parlé avec toute sorte de déférence ; je lui ai demandé instruction sur quelques endroits de sa tragédie intitulée Herodes infanticida. Voilà ce que j’ai fait. Lui, tout au contraire, n’a pas voulu recevoir mes civilités, il s’est effarouché de mes compliments : je lui ai demandé instruction et il m’a jeté des pierres. Jugez qui de nous deux a le tort ; car voilà au vrai ce qui s’est passé entre nous.
Il est vrai aussi que je ne croyais pas mon objection si forte de la moitié, et c’est peut-être ce qui l’a fâché. Je l’aurais supprimée si je m’en fusse avisé assez tôt. Mais qui se fût imaginé que l’infaillible Heinsius eût pu faillir contre les règles de son art ? Je ne l’ai jamais dit affirmativement ni ne le veux dire encore aujourd’hui, quoique la plupart de nos maîtres ne lui soient pas favorables en cette occasion. Il est riche en lieux communs et traite quantité de belles matières, en sa défense : il leur semble néanmoins qu’il ne les traite pas assez clairement. Il s’embarrasse, disent-ils, au lieu de se démêler. Ce qu’il apporte de Grèce, d’Orient et des autres pays étrangers n’est pas en sa place où il le met et ne fait rien d’ordinaire à l’affaire dont il s’agit. Il s’enfonce, disent-ils encore, dans des choses dont j’étais demeuré d’accord, et laisse à côté celles que je lui conteste, ou passe légèrement dessus, ou il change l’état de la question, ou ne la touche que faiblement. De sorte qu’ils n’ont pas encore appris de lui, non plus que moi, si un corps composé de différentes voire de contraires espèces se peut dire naturel ; et si les anges des Juifs et les Furies des païens peuvent compatir en un même lieu ou, comme parlent les clercs, ejusdem dramatis personae esse possint [« peuvent être les personnages de la même pièce »].
Car en effet, quoique dise Monsieur Heinsius, il n’a pas encore levé notre scrupule, et c’est toute autre chose d’user des mots de Tartare et d’Achéron, que l’usage a tout à fait changés et qui ne sont plus ce qu’ils étaient, ou d’introduire sur la scène des Mégères et des Tisiphones avec des Gabriels et des Raphaëls : […]
ut turpiter atrum
Desinat in Piscem Mulier formosa superne, Serpentesque Avibus geminentur, Tigribus Agni. [Horace, Art poétique, v. 3-4 et 13] […]
Il y a dans le texte de son livre « ipsum etiam Ecclesiae Caput » ; il y a dans les fautes survenues à l’impression « ipsum etiam Ecclesiae Romanae Caput ». L’un est pour Rome, l’autre pour Leyden. Par le premier, il veut plaire au Pape qui ne lit pas, non plus que les autres hommes, l’Errata qu’on met à la fin des livres ; par le second, il veut avoir de quoi se justifier envers les ministres si on l’accusait d’être mauvais huguenot et d’avoir intelligence avec l’ennemi ; et tout cela selon ses maximes qui permettent de mêler les deux religions. Comme, dans sa tragédie, il est juif et païen, il croit que, dans sa dissertation, il peut être catholique et huguenot. Il se fonde, sans doute, sur cette vieille sentence, que le sage est le prêtre de tous les dieux et le citoyen de toutes les républiques. Mais les sages de ce temps-là ne sont pas les sages de celui-ci. […]
Extrait de l'entretien XXXV : « De son procédé et de celui de Monsieur Heinsius en leur querelle. À Monsieur Girard, secrétaire de feu Monsieur le duc d’Eperon », disponible sur Gallica, p. 386-390.
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