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1689
Madame de Sévigné, Lettre à Madame de Grignan
Esther, une pièce pleine d'agrément
Dans cette lettre datée du 21 février 1689, Madame de Sévigné raconte à sa fille la représentation d'Esther de Racine en rapportant ses émotions de spectatrice. La fin de la lettre mentionne aussi la représentation d'Atys à l'opéra de Marseille.
Je fis la mienne l’autre jour à Saint-Cyr, plus agréablement que je n’eusse jamais pensé. Nous y allâmes samedi, madame de Coulanges, madame de Bagnols, l’abbé Têtu et moi. Nous trouvâmes nos places gardées : un officier dit à madame de Coulanges que Madame de Maintenon lui faisait garder un siège auprès d’elle ; vous voyez quel honneur. Pour vous, madame, me dit-il, vous pouvez choisir ; je me mis avec madame de Bagnols au second banc derrière les duchesses. Le maréchal de Bellefonds vint se mettre, par choix, à mon côté droit, et devant c’étaient mesdames d’Auvergne, de Coislin et de Sully ; nous écoutâmes, le maréchal et moi, cette tragédie avec une attention qui fut remarquée, et de certaines louanges sourdes et bien placées, qui n’étaient peut-être pas sous les fontanges de toutes les dames. Je ne puis vous dire l’excès de l’agrément de cette pièce : c’est une chose qui n’est pas aisée à représenter, et qui ne sera jamais imitée : c’est un rapport de la musique, des vers, des chants, des personnes, si parfait et si complet, qu’on n’y souhaite rien ; les filles qui font des rois et des personnages sont faites exprès : on est attentif, et on n’a point d’autre peine que celle de voir finir une si aimable pièce : tout y est simple, tout y est innocent, tout y est sublime et touchant : cette fidélité de l’histoire sainte donne du respect ; tous les chants convenables aux paroles, qui sont tirées des Psaumes et de la Sagesse, et mis dans le sujet, sont d’une beauté qu’on ne soutient pas sans larmes : la mesure de l’approbation qu’on donne à cette pièce, c’est celle du goût et de l’attention. J’en fus charmée, et le maréchal aussi, qui sortit de sa place pour aller dire au roi combien il était content, et qu’il était auprès d’une dame qui était bien digne d’avoir vu Esther. Le roi vint vers nos places ; et, après avoir tourné, il s’adressa à moi, et me dit : « Madame, je suis assuré que vous avez été contente. » Moi, sans m’étonner, je répondis : « Sire, je suis charmée, ce que je sens est au-dessus des paroles. » Le roi me dit : « Racine a bien de l’esprit. » Je lui dis : « Sire, il en a beaucoup ; mais, en vérité, ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi : elles entrent dans le sujet, comme si elles n’avaient jamais fait autre chose. — Ah ! pour cela, reprit-il, il est vrai. » Et puis Sa Majesté s’en alla, et me laissa l’objet de l’envie : comme il n’y avait quasi que moi de nouvelle venue, le roi eut quelque plaisir de voir mes sincères admirations sans bruit et sans éclat. M. le Prince et madame la Princesse vinrent me dire un mot : Madame de Maintenon un éclair ; elle s’en allait avec le roi : je répondis à tout, car j’étais en fortune. Nous revînmes le soir aux flambeaux : je soupai chez madame de Coulanges, à qui le roi avait parlé aussi avec un air d’être chez lui, qui lui donnait une douceur trop aimable. Je vis le soir M. le chevalier, je lui contai tout naïvement mes petites prospérités, ne voulant point les cachotter sans savoir pourquoi, comme de certaines personnes ; il en fut content, et voilà qui est fait ; je suis assurée qu’il ne m’a point trouvé, dans la suite, ni une sotte vanité, ni un transport de bourgeoise : demandez-lui. M. de Meaux (Bossuet) me parla fort de vous, M. le Prince aussi : je vous plaignis de n’être pas là ; mais le moyen ? on ne peut pas être partout. Vous étiez à votre opéra de Marseille : comme Atys est non-seulement trop heureux, mais trop charmant, il est impossible que vous vous y soyez ennuyée. Pauline doit avoir été surprise du spectacle : elle n’est pas en droit d’en souhaiter un plus parfait.
Extrait signalé par L. Naudeix
Sévigné, Correspondance , éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, vol. III, p. 509.
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