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1639
Yves de Paris, Les morales chrétiennes
Paris : Denis Thierry, 1639
Les spectateurs de théâtre en danger
Dans le chapitre VIII, Yves de Paris développe le problème posé par la représentation de comédies dans le cadre de la « Querelle sur la moralité du théâtre » :
[...] en moins de deux heures, [les théâtres] font voir la naissance, le progrès, les difficultés, la fin des aventures qui exercent le monde durant plusieurs années et plusieurs siècles. Le peuple est bien aise d'entendre le secret des cœurs et des conseils ; d'entrer dans l'intelligence des causes, que la police et que les passions lui cachent; de se rendre juge des princes, qui se font la guerre, pour lui donner du plaisir.
Dans ce combat de plusieurs qui prétendent une même chose, les spectateurs prennent le parti qui revient plus à leur jugement, avec des transports qui leur font sentir toutes les douceurs, sans les amertumes des passions, parce qu'ils savent en effet, que ces objets ne sont que des feintes. L'esprit qui ne laisse pas de prendre intérêt à ce qu'on lui représente, devine les événements, découvre les embuscades, préside aux conseils, donne les avis et les ordres avec autant de chaleur, que s'il avait à vaincre lui même la fortune ;
[...]
la magnificence des théâtres, les changements des scènes, la beauté, les ornements des personnages, contribuent beaucoup au plaisir, et une secrète sympathie fait que les mouvements du cœur sont plus forts, néanmoins plus doux, en ce qu'ils paraissent plus justes étant communs dans les assemblées.
Il est certain que si les théâtres ne représentaient que des choses honnêtes, la pompe de leur appareil, et les naïvetés de leurs actions seraient de belles et puissantes armes, pour assurer l'empire de la vertu dans le cœur. Ces spectacles seraient un des plus doux divertissements de l'homme particulier qui vit dans les villes ; et je crois qu'il ne pourrait prendre un plaisir plus innocent, que celui où l'esprit est en état d'agir pour se perfectionner, quand il se délasse. [exemple des Grecs]. Mais parce que la fin de la comédie est de délecter et que les pratiques de la vertu ne sont pas celles qui plaisent le plus à notre nature, on les a quittées pour représenter ce qui peut être dans la complaisance des passions, et l'on se propose pour dernière fin, une volupté qui est l'amorce commune de tous les vices ; et d'autant que ces acteurs veulent donner de l'admiration, ils vous font voir des prodiges de méchanceté, des usurpateurs qui s'élèvent dessus les trônes par toutes sortes de crimes, en mettant sous leurs pieds, tous ceux qui ne peuvent servir autrement à leur fortune
[...]
L'amour qui est le tyran des cœurs, est le grand sujet des théâtres, et pour expliquer sa puissance, on le décrit qui arme toutes les passions, qui commet tous les désordres imaginables, sous un prétexte de justice.
[...]
Que cet art est pernicieux qui ne laisse point mourir les crimes avec le temps, et qui fait l'extrait de ce que les siècles passés ont eu de plus abominable, qui fait renaître ces venins ; qui les donne sans le tempérament que les longueurs, ou que le mélange des affaires y apportent, afin d'agir avec plus de violence sur l'intégrité des cœurs.
[...]
Si les comédies ont fait une leçon, les farces font un jeu des impuretés, les rapts et les adultères y passent pour des galanteries, on les représente avec quelques rencontres lascives qui gagnent l'attention, et qui font passer l'effronterie pour une subtilité : l'esprit se fait insensiblement des habitudes du mal, par ces pernicieux exemples, et la grande compagnie qui les regarde avec plaisir, fortifie les âmes encore timides, contre les sentiments de la honte.
[...]
Il n'y a que les comédies où ceux qui regardent, et qui agissent, commettent un même péché ; où la vue devient contagieuse et criminelle ; où ceux qui sont venus chastes, s'en retournent incontinents.
[...]
Ouvrir son âme aux cruelles, ou aux lascives idées de ce qui se joue sur les théâtres, c'est la fermer aux inspirations de la grâce ; c'est perdre l'intégrité qui nous donne la vue de Dieu, c'est n'avoir plus la confiance de nous approcher de son trône, de demander son secours, de recevoir ses lumières et ses consolations comme ses enfants. Que le sage fuie donc ce divertissement, qui peut le rendre criminel, et qui hasarde, s'il ne ruine sa conscience. S'il veut des spectacles, il a les histoires saintes et profanes ; il a tous les jours l'exemple des saints, il a ce qui se passe dans le grand monde, où il trouve de quoi rire par indifférence, et de quoi pleurer par compassion.
Extrait signalé par F. Lecercle dans la « Bibliographie France » sur le site La Haine du Théâtre.
Edition de 1643 en ligne, p. 512-519.
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