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1674
Charles Perrault, Critique de l’Opéra ou examen de la tragédie intitulée Alceste, ou le Triomphe d’Alcide
Paris : C. Barbin, 1674
L’Alceste – chronique d’une cabale bien orchestrée
L’examen de la pièce Alceste de Lully et Quinault s’ouvre avec un dialogue entre Cléon et Aristippe : le premier est sorti enthousiaste de la représentation alors que le second se fait le porte-parole des critiques nombreuses. Pour Cléon il n’y a aucun doute : la pièce a subi une cabale bien orchestrée et peu méritée.
Aristippe
Je sais que vous vous y connaissez et c’est ce qui m’étonne. Car tout le monde crie contre cette pièce.
Cléon
Tout le monde c’est trop ; mais pour beaucoup de gens, je le crois. Je suis persuadé que les musiciens qui n’y chantent pas, les comédiens des trois troupes, les poètes qui composent pour le théâtre les partisans du petit Opéra, et les amis du Marquis de Sourdiac trouvent l’opéra mauvais. Et comme ce sont tous gens d’esprit bien reçus chez toutes les personnes de qualité, je ne doute point qu’il ne le fassent aussi trouver mauvais à bien du monde.
Aristippe
Pourquoi voulez-vous qu’ils en parlent mal de dessein formé, eux qui trouvent que le Cadmus était beau et qui le regrettent tous les jours.
Cléon
Le Cadmus ne leur fait plus de mal, et ils en font l’oraison funèbre volontiers. Mais afin que nous nous entendions, est-ce de la poésie, de la musique ou des décorations que vous voulez parler.
Aristippe
Je n’entends parler que de la poésie. Car pour la musique et les décorations j’en suis assez content.
Cléon
Croiriez-vous bien que l’approbation que cette pièce a reçue à la cour quand elle y a été répétée, est cause en partie du décri où elle est dans la ville, et où l’a mise la cabale pour se venger du chagrin qu’elle en a eu. De combien pensez-vous qu’une pièce empire à l’égard de certaines gens, à chaque répétition qu’on en fait à la cour, surtout quand ces répétitions sont suivies de louanges et d’applaudissements. L’auteur pensa en être étranglé à l’issue de l’une de ces répétitions, et en fut traité du plus ignorant de tous les hommes.
Aristippe
Si ces messieurs disaient en général que l’Alceste ne vaut rien, je pense bien qu’il ne faudrait pas les en croire sur leur parole. Mais ils font voir par le détail en quoi cette pièce est défectueuse, tant pour la conduite du sujet qui est misérable que pour la versification qui fait pitié. Ils font voir que l’auteur a tout gâté en ne mettant pas dans sa pièce ce qu’il y a de plus beau dans Euripide, et en y ajoutant des épisodes ridicules, mal liés et mal assortis au sujet. Ils font aussi remarquer la pauvreté de chaque endroit où l’on ne voit que redites de tendresse, jeunesse, saison, raison, etc.
Relation disponible sur Gallica, p. 3-6.
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