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Jacques Carel de Sainte-Garde, Mémoires curieux envoyés de Madrid sur les fêtes ou combats de taureaux

La corrida, une comédie ?

Dans les Mémoires qu’il adresse à Jean Chapelain lors de son voyage à Madrid, Carel de Saint-Garde décrit dans le détail les corridas auxquelles il assiste, et n’hésite pas à y déceler une dimension théâtrale.

Mais ce qui fait bien connaître qu’ils [les Espagnols] n’aiment que le sang, c’est le plaisir extrême qu’on leur voit prendre, les uns à tailler en pièces ces pauvres taureaux, les autres à les percer de leurs longues épées quand ils passent proche de la barrière ; et surtout ce qu’ils disent, que la fête n’est jamais aussi belle que quand elle est tragique. Il est certain au moins qu’ils sont toujours fort aises qu’un Toreador tombe en quelque embarras, pour voir comme il s’en tirera ; sachant que c’est la première loi de cette réjouissance, qu’aucun funeste accident ne doit point la faire cesser, à moins qu’il ne plaise au roi de s’en aller. Car il est dit que si l’un des cavaliers vient à être blessé, en sorte qu’il soit contraint de se retirer, comme étant hors de combat, les autres Toreadores pourront bien l’accompagner jusqu’à la sortie la plus proche, mais qu’ils doivent revenir aussitôt dans la lice, sans perdre temps, pour continuer la joute ; quand même il serait mort ; si bien qu’il en est de cette action publique, de même que de la comédie ; la scène se r’ouvrant comme si de rien n’était, après ces petites interruptions qui en font comme les intermèdes. Un des plus grands plaisirs que la plupart du monde y prend encore, c’est de voir un taureau furieux poursuivre un Alguasil ; car comme les sergents sont mal voulus par tout pays, l’on ne souhaite rien tant que de voir ceux-ci engagés à tirer l’épée pour se défendre en cette attaque ; ainsi qu’il leur est permis seulement dans l’extrémité. Une autre chose plaisante que l’on voit quelquefois, c’est un taureau au sortir du cachot, ou bien au milieu de la place qui va donner de la tête en courant, contre des fantômes que l‘on expose à la vue. Mais il y a bien plus à rire quand les piétons font eux-mêmes ce personnage pour faire une Lançade, que l’on appelle ; tenant un long pieu un peu fort, dont ils fichent un bout en terre où ils mettent un genou, et présentent l’autre bout au taureau, où il y a un fer bien acéré ; car comme il vient fondre dessus et s’enferrer de lui-même, en sorte que cette lance lui traverse quelquefois depuis la tête jusqu’à la queue ; et ne laisse pas avec cela de courir et de sauter assez longtemps. Il ne se peut rien voir de plus grotesque.

Mémoire disponible dans l’édition récente de J. Dalquier, Mémoires curieux envoyez de Madrid, Union de bibliophiles taurins de France, 2012, p. 28-29.


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